EXCLUSIF : Soleimani craignait une nouvelle tentative d’assassinat dès l’automne 2019

Shares

 

EXCLUSIF : Rappelant que le général Qassem Soleimani était, depuis au moins 2006, une cible à éliminer pour Israël, cet article démontre que cet important stratège iranien craignait une nouvelle tentative d’assassinat depuis l’automne dernier. Revenant sur la coopération très étroite entre les services américains et israéliens au Moyen-Orient, cette analyse explore la possibilité que l’État hébreu eût joué un rôle actif dans cette élimination, Tel Aviv ayant été préalablement informée de cette opération – contrairement aux élus du Congrès des États-Unis.  

 

À l’occasion d’une frappe de drone que d’aucuns saluent – mais que la communauté internationale condamne au vu de ses conséquences potentiellement désastreuses –, le général et stratège iranien Qassem Soleimani vient d’être neutralisé définitivement par le JSOC américain. Bien qu’adoptant un profil bas compréhensible, le gouvernement israélien apparaît comme le premier bénéficiaire de cette élimination, sachant qu’il considérait Soleimani comme son principal ennemi. De ce fait, les réactions enthousiastes de nombreux parlementaires israéliens confirment l’importance de cet assassinat ciblé pour l’État hébreu. Selon l’actuel chef du Mossad Yossi Cohen, Soleimani avait en effet mis en place « une infrastructure (…) qui représente un sérieux défi pour Israël », ce qui explique notamment la vague de frappes aériennes massives de Tsahal contre des cibles iraniennes sur le territoire syrien au mois de mai 2018.

 

En octobre dernier, Yossi Cohen aurait affirmé que Soleimani savait « très bien que son élimination [n’était] pas impossible. Ses actions sont identifiées et ressenties partout », entre la Syrie, le Liban, le Yémen, la bande de Gaza, et bien au-delà. Quelques jours plus tard, des responsables du Mossad ont réfuté cette interview de leur directeur. Néanmoins, comme l’a souligné la rédaction de TimesOfIsrael.com, « ils n’ont pas nié que Cohen avait rencontré [ces] journalistes. Par ailleurs, ils ont décrit les citations qui lui sont attribuées comme étant “largement sorties de leur contexte”, et non pas complètement fausses, ce qui soulève encore plus de questions sur le sujet. » En d’autres termes, il semblerait que Yossi Cohen fût un peu trop bavard, et que le Mossad eût ensuite démenti cette interview pour entretenir le flou dans l’opinion. Contrairement aux États-Unis, dont les Présidents se vantent de leurs assassinats ciblés, l’État hébreu préfère en effet la stricte confidentialité des opérations clandestines pour ce type de campagne. Ce démenti du Mossad doit aussi être analysé dans un contexte bien particulier, qui avait conduit le général Soleimani à craindre une nouvelle tentative d’assassinat et à renforcer son dispositif de protection.

 

En effet, comme l’avait révélé IntelligenceOnline.fr ce même mois d’octobre 2019, « une campagne d’influence négative (…) du renseignement israélien contre Qassem Soleimani » venait d’échouer. 1 Toujours selon IntelligenceOnline.fr, certaines sources avaient même décrit cette opération comme étant « contreproductive, (…) le général [l’ayant] interprétée comme un écran de fumée visant à l’éliminer physiquement, ce qui entraîna un renforcement de sa sécurité ». Cette divulgation tend à expliquer le fait que « l’Iran avait accusé à l’automne [2019] des “services secrets israélo-arabes” de préparer une attaque contre le général Soleimani. » L’on peut donc déduire de ce recoupement d’informations que

 

1) Yossi Cohen a maladroitement confirmé à des journalistes les intentions israéliennes d’éliminer Qassem Soleimani, et ce au moment précis où l’État hébreu constatait l’échec de sa campagne de désinformation contre cet important ennemi ;

 

2) ce général et stratège iranien était conscient de cette volonté d’élimination, ce qui l’avait conduit à renforcer sa sécurité ;

 

3) les États-Unis, qui ont préalablement informé Israël de cette opération, se sont finalement chargés de cet assassinat, qui est un objectif majeur de l’État hébreu depuis au moins 2006

 

Il restera à déterminer si le Mossad, l’Unité 8200 ou tout autre service spécial israélien fut impliqué dans cette élimination, ce qui est possible mais pas encore prouvé selon certaines sources israéliennes, dont le Jerusalem Post et Debka.com. Par ailleurs, le New York Times a récemment sous-entendu une implication de l’État hébreu dans cette opération, écrivant que « la capacité de localiser M. Soleimani à tout moment était, depuis longtemps, une priorité pour les armées et les services d’espionnage américains et israéliens. D’actuels et d’anciens commandants et responsables du renseignement américain ont déclaré que l’attaque de jeudi soir, en particulier, s’est appuyée sur une combinaison d’informations hautement classifiées provenant d’informateurs, d’interceptions électroniques, d’avions de reconnaissance et d’autres moyens de surveillance. »

 

Il serait donc intéressant de savoir si les services israéliens ont été directement impliqués dans cet assassinat, sachant que l’administration Trump aurait donné son feu vert à Tel Aviv pour liquider ce général il y a près d’un an – considérant qu’il représentait une menace à la fois pour les États-Unis et pour Israël. Néanmoins, il risque d’être difficile de confirmer le possible rôle israélien dans cette opération, sachant que le gouvernement Netanyahou impose la censure militaire sur ce sujet. Interrogé vendredi sur une potentielle implication israélienne dans cet assassinat ciblé, le spécialiste Gareth Porter « soupçonne fortement qu’il y a eu des consultations entre les États-Unis et Israël à propos de cette opération, vu le rôle central joué dans celle-ci par le secrétaire d’État Mike Pompeo, mais également du fait qu’elle reflète très clairement les intérêts de Tel Aviv, et qu’elle ressemble à un assassinat ciblé de style israélien. » Quelques heures après avoir reçu cet argumentaire, l’auteur de ces lignes apprenait que l’État hébreu avait été informé de cette opération plusieurs jours avant sa mise en oeuvre, validant l’hypothèse de Gareth Porter au sujet des consultations entre Washington et Tel Aviv.

 

Habituellement, lorsque des ennemis d’une telle importance sont ciblés dans cette région, une coopération très étroite s’établit entre les renseignements de l’État hébreu et ceux des États-Unis. Ainsi, « en février 2008, à Damas, un sniper israélien l’avait dans sa ligne de mire au moment où [Qassem] Soleimani rencontrait son affidé Imad Mugnieh, le chef de la branche militaire du Hezbollah. Mais les Américains, partie prenante de cette surveillance, avaient donné leur feu vert uniquement à l’exécution de Mugnieh, pas à celle de Soleimani. Le haut gradé iranien a ainsi sauvé sa peau. » 2 Pour être plus précis, cette opération fut conjointement menée par la CIA et le Mossad, et George W. Bush lui-même s’opposa à l’assassinat du général et stratège iranien. En 2006, Soleimani aurait d’ailleurs échappé aux drones de Tsahal dans la banlieue sud de Beyrouth, alors qu’il rencontrait le leader du Hezbollah pour contrer l’offensive israélienne au Sud-Liban. L’année suivante, en tant que commandant du JSOC, le général américain Stanley McChrystal prit la décision de ne pas tirer sur son convoi en Irak, craignant les conséquences indésirables d’une telle frappe.

 

Récemment fauché par les missiles d’un MQ-9 Reaper, Soleimani n’a pas eu la même chance que lors des précédentes tentatives d’assassinats dont il fut la cible. Reste à savoir si cette liquidation illégale et imprudente d’un général respecté par beaucoup de monde au Moyen-Orient – en particulier du fait de son rôle décisif contre Daech –, aura pour effet de ramener l’Iran à la table des négociations, comme semble le souhaiter le Président Trump. Rien n’est moins sûr, et il est clair que cette opération pourrait avoir des conséquences dramatiques. Dans tous les cas, elle aura été autorisée par un homme qui ne connaissait ni Qassem Soleimani, ni sa force d’élite lorsqu’il était candidat à la présidence des États-Unis en 2015. C’est dire si la paix mondiale est fragile avec cet autoproclamé « génie très stable » à la Maison-Blanche.

 

Maxime Chaix

 

1. Cet article est en accès payant.

2. L’implication de la CIA dans cette opération ne fut divulguée qu’en janvier 2015 par le Washington Post, soit près de 7 ans plus tard.  

 

Shares

2 Responses to “ EXCLUSIF : Soleimani craignait une nouvelle tentative d’assassinat dès l’automne 2019 ”

  1. […] À en croire les tweets de Donald Trump, cette opération es tune grande réussite personnelle pour lui. Notre conviction est que, dans ce dossier, Trump entrave comme il peut la course à la guerre voulue par le complexe militaro-industriel américain, favorable depuis de longs mois à une intervention militaire directe en Iran. Tout laisse à penser que, dans cette élimination à distance, les Américains ont bénéficié de la complicité active de plusieurs alliés : peut-être l’Arabie Saoudite, et plus sûrement Israël. On lira sur ce point l’excellent article de Maxime Chaix sur http://www.deep-news.media: […]

  2. […] les deux jours qui suivirent l’assassinat de Qassem Soleimani, nous avons détecté des indices de l’implication des services secrets israéliens dans cette opération, […]

Laisser un commentaire

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.