EXCLUSIF : La longue préméditation de l’assassinat de Soleimani

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EXCLUSIF : Nous allons vous exposer un certain nombre de faits troublants, qui attestent de la longue préméditation de l’assassinat de Qassem Soleimani du côté d’Israël et des États-Unis – dans le contexte d’une intensive planification militaire entre les états-majors américains et israéliens depuis novembre dernier. Le processus que nous décrirons nous semble être à l’origine de la brusque montée en tension – pour ne pas dire l’état de guerre larvée –, qui oppose désormais l’Iran aux États-Unis et à ses principaux alliés. Or, des hauts responsables américains font fuiter dans la presse des éléments suspects, qui font passer cet assassinat pour un simple coup de sang de Donald Trump. Décryptage. 

 

Au sujet de la liquidation de Qassem Soleimani, la raison d’État censée garantir la confidentialité des opérations sensibles de Washington ne semble pas être un rempart contre les fuites provenant de l’administration Trump. En effet, dans un stupéfiant article, le Los Angeles Times a récemment affirmé que, « lorsque l’équipe de sécurité nationale du Président est arrivée lundi à son complexe de Mar-a-Lago, en Floride, ses membres ne s’attendaient pas à ce qu’il approuve une opération visant à tuer le général Qassem Soleimani. » Pour les raisons que nous allons vous exposer, nous considérons que cet argument est suspect, notamment dans le contexte de l’intensive planification militaire qui fut initiée contre l’Iran en novembre dernier par les États-Unis et Israël.

 

Notre scepticisme est renforcé par les tentatives de plusieurs hauts responsables américains de décrire l’assassinat de Soleimani comme la résultante de l’impulsivité notoire de Donald Trump, qui aurait « choqué » des cadres de son équipe de sécurité nationale. Depuis son compte Twitter, le chercheur Max Abrahms a pertinemment déclaré qu’il ne comprenait pas « cette séquence d’événements. Pourquoi le Pentagone présenterait-il au Président l’option de tuer Soleimani et serait-il ensuite choqué qu’il l’ait choisie ? Peut-être ne devraient-ils pas proposer une option qui serait choquante à mettre en oeuvre ? Peut-être ne devraient-ils pas être choqués qu’il l’ait finalement adoptée ? » C’est dire si la posture de ces sources anonymes issues du Pentagone est surprenante. En effet, elle nous impose l’idée que la décision d’assassiner Soleimani n’était pas réellement envisagée ni préméditée, mais qu’elle résulterait au contraire de l’impulsivité, pour ne pas dire de l’irrationalité de Donald Trump. Or, il s’avère que le Pentagone avait déjà présenté cette option « choquante » au Président le 28 décembre dernier, et que la Maison-Blanche avait donné son feu vert à Israël pour l’élimination de Soleimani il y a environ un an.   

 

Plus étonnant encore : sachant que la liquidation du général iranien était un objectif avéré de l’État hébreu depuis 2008, voire même depuis 2006, et que le chef du Mossad aurait déclaré en octobre dernier que Soleimani savait « très bien que son élimination [n’était] pas impossible », Netanyahou nie toute implication israélienne dans cet assassinat. Or, il semble clair que cette opération fut validée en amont par l’État hébreu. Du côté américain, il faut noter le rôle central des faucons anti-iraniens du cabinet Trump derrière la décision de neutraliser Soleimani. Le secrétaire d’État Mike Pompeo, qui fait preuve du même bellicisme que Dick Cheney sur la question iranienne, est leur plus redoutable porte-étendard. L’influence démesurée du « réseau Pompeo » sur le Président Trump est désormais acquise. En effet, selon l’article précité du Los Angeles Times, « une diapositive d’information montrée à Trump énuméra plusieurs mesures de rétorsion que les États-Unis pourraient prendre, notamment viser Soleimani, le chef de la force d’élite al-Qods du Corps des Gardiens de la Révolution islamique, selon un haut responsable américain non autorisé à s’exprimer sur cette réunion. De manière inattendue, Trump a choisi cette option, d’après cette source, ajoutant que la décision du Président avait été partiellement encouragée par des faucons anti-iraniens parmi ses conseillers. » Trump fut donc influencé décisivement par Mike Pompeo et ses fidèles, le secrétaire d’État ayant essayé de convaincre le Président américain de liquider Soleimani depuis des mois, selon des révélations du Washington Post. Au vu de ces éléments, la préméditation de cet assassinat est indiscutable. 

 

Récemment, le New York Times a expliqué que cette élimination était considérée par le cabinet Trump comme « l’option la plus extrême », sachant qu’une telle opération pouvait avoir des conséquences désastreuses. Alors que Benjamin Netanyahou vient d’affirmer qu’Israël n’aurait rien à voir dans cet assassinat, qui ne serait d’après lui qu’un « événement américain », nous savons désormais que cette décision a fait l’objet d’une consultation préalable entre les hauts responsables américains et leurs homologues israéliens – comme l’avait anticipé Gareth Porter dans notre précédent article sur ce sujet. Cette consultation est logique, car il était inenvisageable que Tel Aviv n’eût pas été informée avant qu’une telle décision ne soit mise en oeuvre, essentiellement du fait de ses graves implications pour la sécurité d’Israël. À l’heure actuelle, nous ignorons les détails de ces pourparlers, et nous ne savons pas non plus si l’armée ou les services israéliens ont joué un rôle dans cet assassinat. Or, comme l’avons souligné en début d’article, cette opération s’inscrit dans un contexte d’une intensive planification militaire entre les états-majors américains et israéliens, ce qui n’a pas été relevé dans la presse occidentale. Amorcé en novembre, et formalisé au début du mois suivant, ce processus résulte d’une montée des tensions persistante entre les États-Unis, Israël et leurs principaux alliés, aggravée par les opérations risquées de l’Iran et de ses partenaires houthistes, notamment contre les intérêts pétroliers des puissances du Golfe. 

 

Comme l’a rapporté le site israélien Debka.com début décembre, « la conversation Trump-Netanyahou de dimanche soir (…) a finalisé les arrangements de coordination militaire contre l’Iran, qui ont été mis en place lors des récents pourparlers des généraux américains lors de leurs visites en Israël (…) L’échange entre le Président américain et le Premier Ministre israélien, qui concernait “la menace iranienne” et “d’autres questions critiques bilatérales et régionales”, a eu lieu avant le sommet de l’OTAN à Londres cette semaine, dans le contexte de nouvelles menaces de Téhéran contre les États-Unis et Israël. » Cette planification fut inhabituellement intensive, et il s’avère qu’aucun détail sur ce processus n’a fuité. Dans ce même article, Debka.com ajouta que « nos sources militaires ont remarqué que d’importants généraux américains sont entrés et sortis d’Israël ces dernières semaines. Ils comprenaient le général David Goldfien, chef de l’US Air Force, le général Jeffrey Harrigan, chef de l’US Air Force en Europe et en Afrique, et le général Kenneth McKenzie, commandant des Forces américaines au Moyen-Orient. Enfin, le général Mark Milley, président du Comité des chefs d’état-major américains, est arrivé la semaine dernière pour mettre la touche finale au programme de coopération opérationnelle contre l’Iran élaboré par les généraux américain et israélien. » L’on peut donc déduire des éléments exposés dans cet article que :

 

1) l’assassinat de Qassem Soleimani est intervenu à l’issue d’un processus de planification militaire exceptionnellement intensif entre les forces américaines et israéliennes, qui induisent leur étroite « coopération opérationnelle » contre l’Iran ;

 

2) l’élimination de ce général est un objectif conjoint d’Israël et des États-Unis depuis environ un an, Washington ayant donné son aval à Tel Aviv pour le liquider en janvier 2019, estimant qu’il représentait une menace pour les intérêts de ces deux pays au Moyen-Orient ;

 

3) le gouvernement Netanyahou multiplie les efforts pour nier tout rôle dans cette opération, alors qu’il en a été informé « quelques jours avant » qu’elle n’ait lieu – bien que l’on ne connaisse pas encore les détails et les implications de cette consultation ;

 

4) des hauts responsables américains font fuiter des éléments qui refoulent l’aspect prémédité de cette opération, en la décrivant comme une sorte de coup de sang de Donald Trump – certes encouragé par les faucons anti-iraniens de son administration. De ce fait, il est pour le moins suspect que des officiels du Pentagone se soient déclarés « choqués » par cette décision présidentielle, alors qu’ils avaient déjà présenté cette option à Trump le 28 décembre, et que Pompeo avait essayé de le convaincre d’éliminer Soleimani depuis plusieurs mois ;

 

5) bien qu’Israël nie tout rôle dans cet assassinat, il s’avère que, depuis novembre, ses services secrets et son armée se sont étroitement coordonnés avec les États-Unis sur la question de leurs opérations militaires contre l’Iran. L’élimination de Soleimani a-t-elle été décidée dans ce cadre ? La question reste ouverte. 

 

Au vu de ces éléments, les faucons américains ont tout intérêt à faire porter la responsabilité unique de cet assassinat sur Donald Trump et son impulsivité notoire, alors que Washington et Tel Aviv considèrent la liquidation de Qassem Soleimani comme une priorité stratégique depuis un an. Le temps nous révélera le véritable processus décisionnel ayant abouti à cette élimination, alors que les forces américaines et israéliennes se coordonnaient étroitement depuis novembre dernier afin de planifier des opérations militaires anti-iraniennes. C’est pourquoi l’assassinat de Qassem Soleimani est bien plus probablement la résultante de ce processus, et non d’un simple coup de sang de Donald Trump. 

 

Maxime Chaix

 

 

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One Response to “ EXCLUSIF : La longue préméditation de l’assassinat de Soleimani ”

  1. […] un jour ou l’autre. Sur ce même sujet, nous vous conseillons aussi notre article sur les détails méconnus de la longue préméditation de cet assassinat par les états-majors et les services spéciaux […]

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