Le déclin de la démocratie française (partie 2) : l’impossibilité d’une alternance réelle

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Après avoir expliqué la marginalisation préoccupante du Conseil d’État et du Parlement par l’Exécutif, nous poursuivons notre réflexion sur le déclin de la démocratie française. Alors qu’Emmanuel Macron vient d’affirmer qu’une dictature est un régime qui ne permet pas de changer ses dirigeants, il s’avère que la France est intégrée dans un système supranational qui empêche toute alternance réelle, en particulier sur le plan économique. Comme nous le verrons, l’alternance aux prochaines échéances présidentielles et législatives est dans tous les cas compromise. En effet, il est prévu que les électeurs français se retrouvent face à un non-choix : voter pour l’unique parti de gouvernement face à une opposition d’extrême droite qui, à l’aune de nos règles constitutionnelles, ne serait certainement pas en mesure de gouverner. 

 

Dans notre système supranational, des alternances de façade et la pérennisation de l’austérité

 

Comme nous l’avions rappelé dans notre précédente analyse, le Président français a eu des mots très durs à l’égard de celles et ceux qui s’alarment du déclin de la démocratie dans notre pays. Comme l’a rapporté Le Figaro, Emmanuel Macron estime en effet qu’« aujourd’hui s’est installé dans notre société, et de manière séditieuse par des discours politiques extraordinairement coupables, l’idée que nous ne serions plus dans une démocratie (…) Une dictature c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais. Si la France c’est ça, essayez la dictature et vous verrez ! »

 

Malheureusement, il s’avère que, si nos élus ont en effet vocation à être remplacés grâce aux élections, les politiques économiques qu’ils mettent en oeuvre sont imposées par une entité supranationale non élue appelée la Commission européenne. On peut s’en réjouir ou s’en émouvoir mais, dans tous les cas, il est indiscutable que l’État français ne dispose plus de réelles marges de manoeuvre budgétaires, industrielles, commerciales et monétaires. Dans une tribune récente, trois journalistes de Marianne l’ont pertinemment souligné. Selon eux, « déjà au XIXème siècle, un certain Auguste Comte rêvait de transformer la politique en une “physique sociale”. De bons experts, quelques batteries de chiffres, une vraie discipline, et le pouvoir peut alors s’exercer en pilotage automatique. Plus rien à faire, juste à regarder les voyants sur le tableau de bord social. Aujourd’hui, les fantasmes scientistes de ce polytechnicien français deviennent presque réalité. Surtout dans l’Union européenne, où les États membres doivent se conformer à un inextricable lacis de procédures. Certes, chacune des nations doit les accepter, mais, une fois le contrat signé, difficile de faire machine arrière. Évidemment, tout le monde ou presque connaît les fameux critères de Maastricht sur les plafonds respectifs de la dette et du déficit public, surveillés par les cerbères de la Commission européenne. Mais, depuis 2012, les exaltés du normatif bruxellois peuvent demander des corrections aux États membres si leurs prévisions budgétaires laissent à désirer. »

 

En clair, ce système impose des politiques d’austérité mortifères, qui sont critiquées par un certain nombre d’économistes de premier plan. Parmi eux, l’on peut citer le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, qui milite depuis une décennie contre ces mesures austéritaires. Comme il l’expliquait déjà en 2010, « l’Europe va dans la mauvaise direction. En adoptant la monnaie unique, les pays membres de la zone euro ont renoncé à deux instruments de politique économique : le taux de change et les taux d’intérêt. Il fallait donc trouver autre chose qui leur permette de s’adapter à la conjoncture si nécessaire. D’autant que Bruxelles n’a pas été assez loin en matière de régulation des marchés, jugeant que ces derniers étaient omnipotents. Mais l’Union européenne n’a rien prévu dans ce sens. Et aujourd’hui, elle veut un plan coordonné d’austérité. Si elle continue dans cette voie-là, elle court au désastre. » Depuis ces déclarations de Stiglitz en 2010, l’UE n’a toujours pas changé de cap. Comme il l’avait souligné en septembre dernier, « l’Europe a un problème avec l’euro qui a conduit à l’austérité budgétaire alors qu’elle était inutile. Pour faire simple, le problème de l’Europe, c’est l’Allemagne et sa conception de la politique économique »

 

Si Angela Merkel a reconnu, en mai 2019, que l’austérité imposée aux autres nations européennes avait engendré « beaucoup de victimes », elle n’a exprimé aucun regret vis-à-vis de ces politiques de rigueur pourtant discréditées. En effet, comme le montre l’exemple du Portugal, « l’influence de l’Allemagne sur les politiques d’austérité en Europe a atteint ses limites. (…) Le petit poucet de l’Europe, longtemps décrié par Bruxelles, vient bouleverser les grandes certitudes sur les bonnes politiques amères à mener en Europe. Il s’agit du Portugal. (…) La réussite du modèle portugais ne provient pas vraiment des politiques de l’offre mais au contraire des politiques de demande : pas de réforme structurelle du marché du travail pour assouplir les droits des salariés, pas d’abaissement de la protection sociale, pas de programme d’austérité comme celui du gouvernement antérieur de droite qui avait notamment gelé le salaire minimum et les pensions de retraite, augmenté les impôts, et tout cela sans aucun effet notoire sur l’économie. » 

 

Malgré les succès du Portugal dans sa politique de la demande – et bien qu’Emmanuel Macron ait récemment fustigé une règle des 3% née « sur un coin de table, sans aucune réflexion théorique » –, le gouvernement français continue d’adopter des mesures et des réformes qui conduisent à l’appauvrissement de sa population. En clair, notre Exécutif semble avoir conscience de l’impact négatif de l’austérité mais, en même temps, il continue d’imposer à ses administrés une baisse ostensible de leur niveau de vie, ce qui annonce une poursuite durable des mouvements sociaux. Dans la foulée des critiques de Macron vis-à-vis de la règle des 3%, en novembre dernier, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire réaffirma que le respect de cette norme continuerait de conditionner les politiques gouvernementales, en déclarant que « nous sommes déterminés à rétablir les finances publiques de la France. Nous l’avons fait depuis près de trois ans. Nous sommes sortis de la procédure pour déficit excessif, nous sommes passés sous la barre des 3% de déficit public, nous avons stabilisé une dette qui avait explosé au cours des dix dernières années. » Peut-on alors anticiper une réelle alternance en 2022, qui s’inspirerait du modèle portugais et qui remettrait en cause ces obligations supranationales que nos dirigeants nous ont imposées en oubliant le « Non » du référendum de 2005 ?

 

La nouvelle bipolarité française entre LREM et le RN : une impossible alternance 

 

En janvier 2019, la journaliste et essayiste Coralie Delaume souligna ce qu’un nombre croissant de Français perçoivent et déplorent. En effet, l’émergence d’une nouvelle bipolarité entre le parti majoritaire actuel et le Rassemblement National n’offre aucun espoir d’alternance réelle. Comme l’avait observé Madame Delaume, « comment se fait-il que les campagnes présidentielles et législatives de 2017 n’aient pas tenu lieu de “grand débat national” ? La réponse est simple : dans la mesure où l’on ne veut remettre en cause ni les modalités de fonctionnement de la mondialisation, ni celles de cette petite mondialisation à échelle locale (…) qu’est l’Union européenne, il n’y a plus de “grand débat” qui tienne et plus d’alternance possible. » Si l’on garde en tête qu’Emmanuel Macron conçoit la dictature comme « un régime où on ne change pas les dirigeants », Coralie Delaume argua dans cette interview que « l’alternance ne sert qu’à changer le personnel mais ne permet en aucun cas de changer de politique. C’est ce que Jean-Claude Michéa appelle “l’alternance unique”, et que d’autres avant lui nommaient “l’alternance sans alternative”. L’importance prise par le Rassemblement National dans le paysage politique achève de verrouiller la vie démocratique française. En affrontant Marine Le Pen en 2017, Emmanuel Macron pouvait se permettre de n’avoir comme seul projet “moi ou le chaos”, c’est-à-dire “l’intégrisme maastrichtien renouvelé ou le chaos”. » 

 

Selon nous, il serait plus exact de résumer ce non-choix par « moi ou les nazis ». En effet, comme l’avait remarqué Le Parisien en avril 2017, « quelques jours après la qualification de Marine Le Pen pour le second tour, les nazis et les fantômes de la Seconde Guerre mondiale se sont de nouveau invités dans la campagne d’entre-deux-tours, ce vendredi, entre déplacement symbolique d’Emmanuel Macron à Oradour et référence au point Godwin. L’adversaire de la candidate frontiste, Emmanuel Macron, a ainsi choisi de faire étape dans le village martyr d’Oradour-sur-Glane, petite localité du Limousin où une unité de la Waffen SS massacra 642 habitants le 10 juin 1944. Un déplacement très symbolique, après l’éviction de Jean-François Jalkh, éphémère président par intérim du FN, accusé de propos négationnistes. » À l’époque, les socialistes Bertrand Delanoë et Gérard Filoche avaient comparé le Front National aux nazis, et le vote abstentionniste était vertement critiqué par une pléiade d’« artistes, politiques, patrons, scientifiques, grands médias ». Malgré la traditionnelle période de réserve, Liberation avait même titré son édition de la veille du second tour par un cinglant « Faites ce que vous voulez mais votez Macron ». Face à un tel rejet collectif du FN, qui est d’ailleurs compréhensible, comment pouvait-on imaginer une victoire de Marine Le Pen ? Essentiellement, si cette dernière avait remporté les élections présidentielles, aurait-elle été en mesure de gouverner ?

 

Comme l’avait rapporté Challenges en mars 2017, Bernard Cazeneuve aurait prévu de rester à Matignon en cas d’élection de Marine Le Pen. Or, si l’intéressé a ensuite démenti cette information, il n’en demeure pas moins que le maintien d’un Premier Ministre LREM à l’issue d’une victoire de Marine Le Pen en 2022 est légalement possible. En effet, selon la Constitution française, le Premier Ministre n’a aucune obligation de démissionner lorsqu’un nouveau Président de la République est élu. Une telle décision « entraînerait (…) des conséquences fâcheuses pour la candidate du [RN]. Celle-ci présiderait le Conseil des Ministres… tout en étant réduite à l’impuissance. Elle ne pourrait prendre quasiment aucune décision, et notamment pas nommer le moindre préfet, recteur ou ambassadeur sans l’accord [d’un Premier Ministre de l’opposition]. Et ce, jusqu’aux élections législatives de juin. Si Marine Le Pen obtenait une majorité absolue à l’Assemblée, les députés frontistes pourraient alors renverser le gouvernement et installer à sa place des ministres [RN]. Autrement, la présidente devrait composer avec la coalition majoritaire. » Or, le scénario d’une victoire du RN aux élections législatives est peu probable, au vu de l’inévitable levée de boucliers qu’engendrerait son hypothétique victoire aux présidentielles. 

 

LREM : la tentation d’un « parti unique »

 

Les succès électoraux d’En Marche aux élections nationales de 2017 ont engendré la tentation d’instaurer une forme de « parti unique » face au FN. Ce phénomène s’est initialement manifesté par le recrutement de ministres issus de la Gauche (Jean-Yves Le Drian, Nicole Belloubet, Richard Ferrand, Mounir Mahjoubi, Olivier Dussopt, Gérard Collomb, Benjamin Griveaux, Florence Parly, Julien Denormandie, Élisabeth Borne, Marlène Schiappa, Christophe Castaner, Stéphane Travert, Muriel Pénicaud, Jacques Mézard, Annick Girardin, Nicolas Hulot), de la Droite (Gérald Darmanin, Jean-Michel Blanquer, Bruno Le Maire, Sébastien Lecornu, Jean-Baptiste Lemoyne) et du Centre (François Bayrou, Sylvie Goulard, Marielle de Sarnez, Jacqueline Gourault, Geneviève Darrieussecq). Ce ralliement massif à Emmanuel Macron a logiquement accéléré la déliquescence des deux principaux partis de gouvernement, alors incarnés par LR et le PS. Comme on pouvait le craindre, cette tentation d’imposer une forme de « parti unique » s’est manifestée à nouveau dans le contexte des échéances électorales suivantes.

 

Comme l’avait dénoncé la secrétaire générale de LR en juin dernier, « depuis les élections européennes et dans la perspective des municipales, nous assistons médusés à une large propagande de la part des membres du gouvernement et des partis majoritaires – La République en Marche, le MoDem, Agir –, qui consiste à affirmer que le seul engagement qui vaille pour le bien du pays serait de rejoindre Emmanuel Macron. Tous les moyens sont bons : repérage de cibles, cour assidue et pressante, invitations dans les ministères, promesses, menaces ! La désinformation même est de mise. Ainsi, les 72 maires “de droite” invitant à rejoindre la majorité étaient-ils depuis des mois largement acquis à Emmanuel Macron », sachant que 75 figures de la Gauche appelèrent à se rallier à LREM en octobre de cette même année 2019.

 

Toujours selon la secrétaire générale de LR, « tout cela n’est pas de bonne démocratie. S’arroger le monopole de l’intérêt général en confondant les intérêts de notre pays avec ceux du parti au pouvoir, qualifier ses adversaires politiques de conservateurs archaïques, ou pire, d’“ennemis”, chercher à confisquer le débat démocratique en sélectionnant ses contradicteurs en fonction de ses intérêts électoraux, tenter de domestiquer les oppositions par des moyens autoritaires ou par des procédés plus sophistiqués, voilà la stratégie dangereuse de La République en Marche, de ses alliés et du gouvernement. Aujourd’hui, la situation instable et fracturée de notre pays est trop grave pour laisser des apprentis-sorciers faire croire aux Français qu’il n’y aurait de choix qu’entre le parti autoproclamé du progrès et les extrêmes. »

 

Hélas, notre démocratie représentative est neutralisée par ce non-choix entre une majorité contestée, qui attire pourtant les ténors de chaque parti de gouvernement traditionnel, et une opposition d’extrême droite faisant figure d’épouvantail bien commode pour LREM. En clair, cette nouvelle bipolarité toxique ne peut qu’inciter à faire barrage au RN, à voter « protestataire » ou à s’abstenir par rejet de ce système. Par conséquent, n’en déplaise à un Emmanuel Macron qui estime qu’une dictature est « un régime où on ne change pas les dirigeants », nous venons d’expliquer pourquoi toute alternance réelle dans la démocratie française semble aujourd’hui improbable, pour ne pas dire impossible. Dans un tel contexte, la décomplexion totale de la violence d’État contre ses opposants – qui sera l’objet de notre prochain article –, constitue un autre signe inquiétant d’un déclin démocratique que subit de moins en moins passivement le peuple français.

 

Maxime Chaix  

 

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3 Responses to “ Le déclin de la démocratie française (partie 2) : l’impossibilité d’une alternance réelle ”

  1. La Demicratie en France est un archétype dans l’esprit du peuple.
    La France n’a plus de Constitution depuis le decret Valls n°2016-1675 du 5 décembre 2016 qui a violé la sacro-sainte séparation des pouvoirs en plaçant tous les magistrats du siège sous l’autorité de l’exécutif.

    L’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen inscrite en préambule de la Constitution de 1958 ne souffre d’aucune contestation : Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

  2. […] poursuivons notre série d’articles sur le déclin de la démocratie française en étudiant l’inquiétant phénomène de […]

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