EXCLUSIF : Selon le Pentagone, la livraison de missiles sol-air aux rebelles syriens fut autorisée jusqu’à la fin 2019

Shares

EXCLUSIF : La semaine dernière, un hélicoptère syrien a été abattu par les forces djihadistes soutenues par l’armée turque à Idleb. Selon un haut responsable de ces factions islamistes, l’armement utilisé serait un Stinger, c’est-à-dire un missile sol-air portable (MANPAD). Initialement conçu et exporté par les États-Unis, ce type d’armes est également co-développé par la Turquie depuis les années 1990. Dans ce contexte, nous vous révélons en exclusivité un troublant document du Pentagone. En effet, il atteste que les livraisons américaines de MANPAD à l’« opposition syrienne » étaient autorisées jusqu’au 31 décembre 2019 – cette approbation datant de la fin 2016. Ce document précise par ailleurs que les forces américaines ont parachuté des MANPAD au Nord de la Syrie, mais sans que nous ne sachions encore à quel(s) groupe(s). Révélations.  

 

Après la destruction en vol – par les supplétifs djihadistes de la Turquie à Idleb –, d’un hélicoptère de l’armée syrienne, un haut responsable de ces factions pro-turques a déclaré que cet appareil avait été détruit par des Stinger. Pour celles et ceux qui l’ignorent, il s’agit de missiles sol-air portables principalement fabriqués aux États-Unis, dont la livraison massive aux moudjahidines leur avait permis de vaincre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980. Selon le média d’opposition syrienne Enab Baladi, « un dirigeant de l’Armée Nationale Syrienne (ANS), [1] qui s’est entretenu avec nous sous couvert d’anonymat, a confirmé que l’hélicoptère d’Assad avait été abattu par un missile sol-air, le FIM-92 Stinger. Il s’agit d’un système de défense anti-aérienne portable (MANPAD). Les factions [pro-turques] ont également lancé deux missiles sur un avion de chasse mais l’ont raté. En revanche, une source du Front de Libération Nationale (FLN) [2] nous a déclaré que les forces armées turques entrées à Idleb au cours des dernières semaines possédaient probablement des missiles sol-air. »

 

Précisons alors que, selon un rapport du gouvernement Erdogan, l’un des véhicules militaires développés par l’entreprise turque Aselsan est armé de quatre lance-missiles portables Stinger, comme indiqué sur la capture d’écran ci-dessous : 

 

 

Selon un rapport de la Federation of American Scientists (FAS) datant d’octobre 1999, la Turquie contribue à la production de Stinger dans le cadre d’un consortium européen. D’après ces experts de la FAS, « l’implication des entreprises turques dans la production de systèmes sensibles basés sur les technologies américaines – de la production de munitions en collaboration avec (…) General Defense à la participation des firmes turques Aselsan et Rokestan à un consortium européen construisant le missile sol-air portable Stinger –, pourrait éventuellement conduire à une situation dans laquelle la Turquie deviendrait une autre source importante d’armes légères dans les zones de conflit. » Sachant qu’à Idleb, les djihadistes pro-turcs sont équipés de blindés et de missiles antichar TOW de fabrication américaine – et vu le rôle central de la Turquie dans la militarisation de la nébuleuse djihadiste anti-Assad –, ce rapport était malheureusement prémonitoire. 

 

Comme l’a observé Enab Baladi, « ces développements militaires [dans le Nord-Est syrien] coïncident avec les déclarations [de l’administration Trump] soutenant leur allié turc à Idleb. Arrivé mardi à Ankara, l’envoyé spécial des États-Unis pour la Syrie James Jeffrey a déclaré : “Aujourd’hui, notre allié turc affronte une menace réelle à Idleb de la part du régime syrien et de la Russie.” Jeffrey précisa qu’il était venu à Ankara pour réévaluer les récents développements à Idleb avec le gouvernement turc, en référence à son offre de soutien [militaire et diplomatique] inconditionnel en faveur de la Turquie. » Comme nous l’avons récemment démontré, les forces d’al-Qaïda à Idleb et leurs alliés pro-turcs bénéficient de la livraison de missiles TOW de fabrication américaine depuis le printemps dernier – des transferts d’armes qui, selon Reuters, ont été approuvés par Washington. Dans ce contexte, il ne peut être exclu que la Turquie eût livré des missiles Stinger à ses supplétifs islamistes avec l’approbation, voire l’aide directe des États-Unis. En effet, comme nous allons le révéler, un manuel du Pentagone confirme que les forces américaines ont été autorisées à fournir des MANPAD à l’« opposition syrienne » jusqu’au 31 décembre 2019. Ce document précise même que ces missiles sol-air ont été parachutés à un (ou des) groupe(s) rebelle(s) indéterminé(s) dans le Nord de la Syrie. 

 

Les États-Unis ont fourni des MANPAD aux rebelles anti-Assad

 

Selon la dernière version du manuel du Pentagone sur les « Programmes de coopération sécuritaire », la livraison de missiles sol-air portables à l’« opposition syrienne » était autorisée jusqu’au 31 décembre 2019. À la page 5 de ce document, qui a été actualisé le 2 décembre dernier, il est précisé que « des fonds peuvent être utilisés pour fournir des MANPAD [à “l’opposition syrienne”] à condition que le Secrétaire à la Défense et le Secrétaire d’État le signalent à la commission du Congrès en charge de ces questions, et que soit respecté un délai de 30 jours après la date de soumission du rapport [correspondant]. » Les rédacteurs de ce manuel ajoutent que « cette aide est susceptible de ne pas être fournie après le 31 décembre 2019 », sans que l’on ne sache si elle est encore autorisée. Voici une capture d’écran de ce document :  

 

 

Dans la même page de ce manuel, il est spécifié que les fonds de ce programme sont limités à 10 millions de dollars, que « quelques rebelles syriens ont été entraînés » au maniement de ces MANPAD, et que ces armements ont été « parachutés au Nord de la Syrie » à une date inconnue : 

 

 

D’après ce manuel du Pentagone, la fourniture de ces MANPAD doit être soumis à « une stricte vérification des antécédents de ses bénéficiaires », afin de « s’assurer que tout groupe ou individu ainsi soutenu ne soit pas affilié à des organisations extrémistes violentes ou au gouvernement syrien ». À première vue, cette phrase peut paraître rassurante. Néanmoins, il faut préciser que :

 

1) le processus de vérification des antécédents des groupes soutenus par la CIA et/ou le Pentagone en Syrie est gravement laxiste. En effet, il se fonde sur une base de données non actualisée et sur de simples garanties orales de « modération » par les rebelles interrogés ;

 

2) la perméabilité entre les milices djihadistes liées ou affiliées à al-Qaïda et les groupes décrits comme « modérés » par les États-Unis est un problème chronique reconnu par de nombreux experts de renom, dont Charles ListerJean-Marc Lafon, Sam Heller ou Genevieve Casagrande. Dans le livre écrit par l’auteur de ces lignes, l’ambassadeur américain pour la Syrie entre 2011 et 2014 Robert S. Ford reconnut que les rebelles anti-Assad dont il a co-supervisé le soutien ont longtemps combattu en appui d’al-Qaïda. Ce faisant, il souligna que ses « critiques de la coopération et de la coordination de l’Armée Syrienne Libre avec al-Nosra ne se limitent pas à l’offensive d’Alep, en 2013 ». En effet, il précisa qu’il avait « dénoncé la collaboration entre l’ASL et le Front al-Nosra en 2013, en 2014, et même publiquement en 2015 », déplorant « ce problème majeur pour l’opposition anti-Assad » ;

 

3) d’après un chercheur turc, une quarantaine de factions composent l’« Armée Nationale Syrienne » (ANS), c’est-à-dire la coalition de milices appuyant les offensives turques à Idleb, en Libye et dans le Nord-Ouest syrien. Or, 18 groupes armés au sein de cette ANS ont été soutenus par la CIA avant l’été 2017, lorsque Trump stoppa cette opération de l’Agence. Rappelons alors que, durant son offensive d’octobre dernier contre les Kurdes, l’ANS fut décrite par les médias et les responsables occidentaux comme une milice majoritairement islamiste qui exécutait les basses œuvres du Président Erdogan. Pourtant, 18 des factions qu’elle regroupe étaient décrites comme « modérées » lorsqu’elles étaient soutenues par la CIA et ses partenaires, dont les services spéciaux français.

 

Ces éléments nous démontrent que les procédures de validation des milices anti-Assad instaurés par la CIA et le Pentagone ont été bien trop laxistes pour être crédibles. De ce fait, l’on ne peut exclure que le MANPAD récemment utilisé par les djihadistes pro-turcs leur eût été fourni avec l’approbation, voire avec l’aide des États-Unis. Initialement, l’autorisation américaine de fournir des missiles sol-air aux rebelles en Syrie date de décembre 2016, lorsqu’Obama promulgua le budget de Défense pour l’année fiscale 2017. Bien qu’elle ne fut pas explicitement reconduite par le Congrès, le document du Pentagone que nous venons d’étudier indique qu’elle est restée valide au moins jusqu’au 31 décembre 2019. 

 

Selon l’expression inventée par Nietzsche au XIXème siècle, « le diable est dans les détails ». Chaque jour, Deep-News.media se charge de détecter ces signaux faibles et de les analyser en profondeur. Hélas, trop peu de journalistes et d’experts les remarquent, malgré leur importance décisive pour mieux comprendre les conflits actuels. Par conséquent, nous reviendrons sur cette affaire des MANPAD américains dès que nous aurons plus d’éléments sur ce dossier sensible. 

 

Maxime Chaix

 

Notes :

 

1) Pour plus de précisions sur l’ANS, voir notre article dédié à la question des forces supplétives de la Turquie à Idleb. 

 

2) Pour plus de précisions sur le FLN, voir notre article dédié à la question des forces supplétives de la Turquie à Idleb. 

 

 

Shares

One Response to “ EXCLUSIF : Selon le Pentagone, la livraison de missiles sol-air aux rebelles syriens fut autorisée jusqu’à la fin 2019 ”

  1. […] également livré ces missiles anti-aériens à ses supplétifs, confirmant notre récente analyse sur cette question. Une telle escalade est dangereuse, mais Ankara se trouve en position de faiblesse face à la […]

Laisser un commentaire

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.