Pourquoi 1 700 milliards de dollars de relance n’empêcheront pas un cataclysme économique

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Face à l’impact global de la crise du Covid-19, la plupart des spécialistes craignent une violente récession. Dans l’urgence, les banques centrales tentent de regonfler les bulles boursières via des programmes de rachats d’obligations et de baisse des taux d’intérêt, ce qui montre que rien n’a été fondamentalement réglé depuis le krach de 2008. En parallèle, les puissances mondiales prévoient des plans de soutien de l’économie à hauteur de 1 700 milliards de dollars [, sachant que Steven Mnuchin a même annoncé des mesures de sauvetage s’élevant à 4 000 milliards]. Or, des centaines de millions de consommateurs/travailleurs sont confinés chez eux pour une durée indéterminée. Il est donc clair que ces mesures économiques auront des effets limités, et que nos dirigeants devront rapidement faire un choix cornélien : une dépression économique dévastatrice, ou le retour au travail de leurs administrés en dépit des risques sanitaires. Décryptage d’une crise sans précédent. 

 

À situation désespérante, réponses désespérées. En effet, comme l’a résumé CNN, « les gouvernements du monde entier ont annoncé des mesures de relance budgétaire massives cette semaine, afin de limiter la gravité d’une forte récession alors que la pandémie de coronavirus met un nombre croissant de pays à l’arrêt. Morgan Stanley affirme que les engagements de dépenses des États-Unis, de l’Europe, du Japon, du Royaume-Uni et de la Chine totalisent au moins 1 700 milliards de dollars. » Or, il s’avère que ces mesures ne suffiront pas à juguler la catastrophe économique en cours de développement, sachant que ni les États, ni les banques centrales ne sont en situation favorable depuis le krach de 2008 et la crise de la dette qu’il a engendré. 

 

En effet, « après des années de taux d’intérêt bas et de rachats d’obligations, les banques centrales manquent désormais de munitions – ce qui ajoute une pression supplémentaire sur les gouvernements pour qu’ils intensifient leurs plans de relance budgétaire si leurs efforts initiaux s’avéraient insuffisants. Les économistes s’attendent à ce que les gouvernements interviennent davantage, étant donné l’ampleur de la dévastation économique qui pourrait se produire dans les semaines et les mois à venir. » Or, à terme, il est clair que des plans d’austérité massive seront mis en place pour compenser ces interventions étatiques, ce qui engendrera une nouvelle crise de la dette en Europe et au-delà. Encouragées par une augmentation massive du chômage, de violentes révoltes populaires pourraient suivre, et il n’est pas certain qu’elles puissent être facilement jugulées. Suscité par la paupérisation des classes moyennes occidentales, et par la déconnexion du monde financier vis-à-vis de cette réalité, ces mouvements de révolte furent l’une des conséquences majeures du krach de 2008. Or, les mêmes causes produiront les mêmes effets si nos gouvernants ne prennent pas en compte l’effondrement du niveau de vie de leur population. 

 

Mais avant de réfléchir à si long terme, rappelons à quel point la situation économique mondiale s’est assombrie. Par exemple, l’économie américaine devrait se contracter d’environ 3,8% cette année. Alors que Donald Trump a longtemps minimisé la dangerosité du Covid-19, le confinement imposé à la Californie est en train de s’étendre à une plus grande partie du pays. En effet, l’on annonce des mesures de confinement dans plusieurs États américains particulièrement peuplés, dont New York et l’Illinois. En d’autres termes, l’on peut craindre que l’économie américaine soit massivement paralysée, comme c’est le cas dans plusieurs États européens. Si elle perdure, cette situation fait craindre une dépression à Kevin Hassett, un économiste et ancien commentateur de CNN, qui revient dans l’administration Trump pour travailler sur leur réponse au coronavirus. Selon lui, « nous allons devoir soit souffrir d’une grande dépression, soit trouver un moyen de renvoyer les gens au travail même si cela est risqué. Parce qu’à un moment donné, nous ne pouvons pas ne pas avoir d’économie, n’est-ce pas ? »

 

En France, parmi les signaux faibles qui laissent entrevoir la panique de nos dirigeants, l’on pourrait citer la récente lettre du préfet du Morbihan. Comme l’a rapporté France Bleu le 19 mars, « reprenez votre activité : c’est en résumé le message de Patrice Faure, le préfet du Morbihan, aux entreprises qui ont fermé leurs portes suite aux mesures de confinement. Dans le département le plus touché à ce jour en Bretagne par le coronavirus, “un très grand nombre d’entreprises dans des secteurs qui n’étaient visés ni par les interdictions, ni par les dispositifs de soutien des pouvoirs publics ont fermé”, constate-t-il, en sur-interprétant les consignes de confinement. “Ce geste occasionne un danger certain pour l’économie, à la chaîne logistique, aux approvisionnements et à terme à la stabilité financière de tout le pays”, alerte le préfet, dans une longue lettre aux habitants. Il demande donc à toutes celles qui peuvent “poursuivre même partiellement leur activité de rouvrir”, avant de citer La Peste d’Albert Camus dans le texte. Il invite “tous les citoyens qui pourraient poursuivre leur travail à s’y employer vigoureusement dans la mesure de leur possible et dans le respect des décisions du Président de la République et du gouvernement”, ajoute-t-il. Il s’agit là d’une nécessité selon lui pour “conjurer l’autre fléau qui nous menace : la pire récession du siècle”. » 

 

Observable jusqu’au 15 mars dernier, lorsque les élections municipales ont été maintenues, la réticence flagrante de notre Exécutif à imposer des mesures fortes pour endiguer cette pandémie montre à quel point les enjeux économiques menacés par de telles restrictions étaient prévalants. Comme l’avait d’ailleurs déclaré notre ministre de Santé Olivier Véran le 5 mars dernier, « on ne paralysera pas la vie économique et sociale du pays ». Deux jours plus tard, Emmanuel Macron se rendit au théâtre pour inciter les Français à sortir. Il précisa alors que « si l’on prend des mesures qui sont très contraignantes, ce n’est pas tenable dans la durée ». Une semaine plus tard, dans une volte-face spectaculaire, il critiquait l’irresponsabilité de ses celles et ceux qui continuaient de sortir tout en nous répétant que l’on était en guerre. Comme l’a récemment observé l’ancien ministre Pierre Lellouche, « en matière de sécurité sanitaire, la doctrine du “en même temps” devait hélas se traduire par deux résultats : perte de temps et incohérence. » Ces hésitations sont compréhensibles à l’aune des inquiétudes de nos autorités pour le bien-être économique du pays, ce qu’avaient clairement exprimé notre ministre de la Santé et notre Président entre les 5 et 7 mars.

 

Plus généralement, il est clair que les effets de cette crise du Covid-19 pourraient être absolument dramatiques pour l’économie globalisée, et donc pour la stabilité mondiale. Comme le souligne l’homme d’affaires et économiste Mohamed A. el-Erian, « la phase initiale de la réponse sanitaire, bien que cruciale pour sauver des vies, ne fera qu’empirer les choses pour l’économie. Des mesures telles que la “distanciation sociale”, la séparation et l’isolement sont intrinsèquement incompatibles avec ce qui stimule la croissance économique, l’emploi et la stabilité financière. Les économies et les gouvernements modernes sont construits pour l’interconnectivité et l’intégration. La réponse sanitaire fermera un secteur économique après l’autre. Il en résultera non seulement la déglobalisation et la dérégionalisation, mais aussi des fermetures économiques massives aux niveaux national et local. » 

 

Face à cette situation catastrophique, les gouvernements promettent de débloquer des centaines de milliards de dollars pour relancer l’économie. Dans la panique, les banques centrales essayent de limiter l’effondrement des marchés. Or, comme l’a pertinemment observé Mohamed A. el-Erian, « pendant cette phase initiale de leur réponse, les gouvernements devraient s’abstenir de s’appuyer sur des outils de politique générale tels que les baisses de taux d’intérêt et de larges incitations fiscales. La pression politique pour utiliser ces outils sera écrasante – et en effet, la Réserve Fédérale américaine a déjà fortement réduit ses taux à près de zéro –, mais leur efficacité dans un moment comme celui-ci est considérablement diminuée. Après tout, les gens paniqués par une pandémie sont-ils susceptibles de recommencer à voyager ou à partir en croisière s’ils bénéficient de crédits d’impôt ou de prêts bon marché ? » La réponse est évidemment négative. 

 

Toujours selon Mohamed A. el-Erian, « ce n’est que lorsque ce nouveau virus sera contenu et l’immunité renforcée que ces outils de politique générale devront être déployés en masse dans le cadre de la deuxième phase de reprise. Dans l’idéal, cette phase ciblerait également des secteurs et des activités qui améliorent la productivité et la croissance à long terme, tels que les infrastructures et l’éducation. Il y aura inévitablement des décisions difficiles à prendre sur qui renflouer, pourquoi et comment. » Réinvestir massivement dans l’économie réelle, stopper les programmes d’austérité mortifères et cesser d’encourager l’expansion de bulles boursières vouées à l’éclatement au moindre cygne noir seraient un bon début. En effet, nous devons affronter une crise d’une ampleur jamais observée, qui conjugue un effondrement de l’offre et de la demande – ce qui est désastreux. Alors que le gouvernement chinois tente de relancer sa production industrielle, et que les puissances occidentales paniquent vis-à-vis de leurs propres économies, il est clair que les règles de confinement seront assouplies dès que possible. Dans le cas contraire, ce que le préfet du Morbihan a qualifié de « pire récession du siècle » pourrait devenir une dépression dévastatrice, dans un monde déjà fragilisé depuis le krach de 2008.

 

Maxime Chaix

 

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One Response to “ Pourquoi 1 700 milliards de dollars de relance n’empêcheront pas un cataclysme économique ”

  1. […] annoncent des plans de relance massifs et sans précédent, mais qui n’auront qu’un effet limité sans levée rapide des mesures de confinement – ce qui est peu probable vu l’évolution de […]

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