EXCLUSIF : Autour des recherches de Shi Zhengli, une affaire d’États (partie 1)

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Le 3 avril dernier, sur la foi de nos propres sources, et en recoupant des évaluations d’experts réputés, nous affirmions qu’une fuite accidentelle du SARS-CoV-2 depuis un labo de Wuhan n’était pas à exclure – tout en soulignant que ce n’était qu’une hypothèse, et que ce virus n’avait pas été créé artificiellement. Dans les jours qui suivirent la publication de notre analyse, il fut révélé qu’un nombre croissant de scientifiques, ainsi que les renseignements américains et britanniques considéraient eux aussi que ce scénario de fuite accidentelle n’était pas à écarter. Parallèlement, nous apprenions que le gouvernement chinois avait multiplié les efforts pour contrôler les travaux des scientifiques locaux sur les origines de cette pandémie, et ce depuis début janvier. Or, il s’avère qu’à l’issue de notre enquête, un nom revient sans cesse : celui de la virologue chinoise et spécialiste des coronavirus Shi Zenghli. Voici donc la première partie de notre investigation sur une épineuse affaire d’États, au pluriel.

 

Ancienne doctorante à l’université de Montpellier, Shi Zhengli est l’une des principales spécialistes des coronavirus de chauve-souris, raison pour laquelle elle est surnommée « Bat-woman ». À l’automne 2015, en compagnie de scientifiques majoritairement américains, elle publia une étude indiquant qu’ils avaient artificiellement créé un coronavirus en laboratoire, afin de le rendre transmissible à l’être humain dans un but de recherches médicales.

 

Comme l’a expliqué Marc Gozlan dans Le Monde, « ces chercheurs ont créé en laboratoire un coronavirus chimérique, en l’occurrence un coronavirus (…) [de type SRAS] qui possédait la protéine de surface du coronavirus SHC014. Ce virus hybride pouvait infecter des cellules respiratoires humaines. Ces recherches, en testant la capacité de recombinaison dans des conditions expérimentales, soulignaient (…) la dangerosité potentielle de ces coronavirus de chauves-souris capables d’infecter directement l’Homme sans avoir toujours besoin d’évoluer préalablement dans un hôte intermédiaire. » Les différents travaux sur le SARS-CoV-2 n’ont pas démontré qu’il s’agissait de ce virus hybride créé en 2015. Or, vu la dangerosité notoire des expériences menées par Shi Zhengli et ses pairs, l’on peut comprendre son effroi lorsqu’elle reçut un appel l’informant de la détection d’une pneumonie atypique dans la ville où elle travaille.

 

Le 30 décembre dernier, elle fut convoquée d’urgence à l’Institut de Virologie de Wuhan afin de séquencer les gènes de ce nouveau coronavirus, qui commençait à se répandre dans cette importante métropole chinoise. Craignant une fuite depuis son institut, elle en perdit le sommeil pendant plusieurs jours, reconnaissant qu’elle était obsédée par cette hypothèse. Comme elle l’expliqua ensuite, « “je me demandais si [l’autorité sanitaire municipale] ne s’était pas trompée. Je n’avais jamais imaginé que ce genre de choses se produise à Wuhan, dans le centre de la Chine.” Ses études ont [en effet] démontré que les régions subtropicales méridionales du Guangdong, du Guangxi et du Yunnan [situées à des centaines de kilomètres de Wuhan] présentent le plus grand risque que les coronavirus se transmettent aux humains par le biais des animaux, en particulier les chauves-souris. (…) Si les coronavirus étaient le coupable, elle se souvient avoir pensé : “auraient-ils pu provenir de notre laboratoire ?” »

 

Or, à l’issue de ses recherches sur le SARS-CoV-2, elle exclut un accident de labo, ce qui ne convainc pas les services secrets britanniques, d’importants ministres du cabinet de Boris Johnson, et la communauté américaine du Renseignement. Comme nous l’avions signalé le 3 avril, nos propres sources et un certain nombre d’experts partagent ces suspicions. Récemment, DailyCaller.com est revenu sur les dénégations douteuses de cette scientifique : « Shi Zhengli, la plus grande spécialiste chinoise sur les virus transmis par les chauves-souris, a juré sur sa vie que le virus n’avait pas fuité de son laboratoire de Wuhan, affirmant que sa propagation était due à “la nature punissant la race humaine d’avoir conservé des habitudes de vie non civilisées”. Or Richard H. Ebright, professeur de biologie chimique à l’Université Rutgers, déclara jeudi à la Daily Caller News Foundation qu’il existe une possibilité réelle que le virus eût infecté la population humaine en raison d’un accident de laboratoire. Lorsqu’on lui demanda s’il pensait que le virus aurait pu fuir du labo de Shi Zhengli à Wuhan, Ebright répondit : “Oui. Une dénégation n’est pas une réfutation, (…) et surtout pas cet argument sur “la nature punissant la race humaine d’avoir conservé des habitudes de vie non civilisées”. »

 

Le 14 avril, le Washington Post publia un article solidement documenté sur les failles de sécurité alarmantes au sein de l’Institut de Virologie de Wuhan, où Shi Zhengli mène ses recherches. Selon leur journaliste Josh Rogin, « deux ans avant que la nouvelle pandémie de coronavirus ne bouleverse le monde entier, les responsables de l’ambassade des États-Unis [à Pékin] ont visité à plusieurs reprises un centre de recherches chinois dans la ville de Wuhan, et ont envoyé deux avertissements officiels à Washington concernant la sécurité inadéquate de ce laboratoire – qui menait des études risquées sur les coronavirus de chauves-souris. Les câbles [diplomatiques révélés par le Post] ont alimenté des discussions au sein du gouvernement américain sur la question de savoir si cet institut, ou si un autre laboratoire de Wuhan était à l’origine du virus – même s’il en existe encore aucune preuve concluante. » 

 

Confirmant la pertinence de notre hypothèse du 3 avril, selon laquelle le Centre de contrôle et de prévention des maladies pourrait être la source de cette fuite de virus, les experts sollicités par le Washington Post suspectent en particulier l’Institut de Virologie de Wuhan. Comme Josh Rogin l’a dévoilé, « en janvier 2018, l’ambassade des États-Unis à Pékin prit la décision inhabituelle d’envoyer à plusieurs reprises des diplomates scientifiques américains à l’Institut de Virologie de Wuhan, qui était devenu en 2015 le premier laboratoire chinois à atteindre le plus haut niveau de sécurité internationale en matière de recherches biologiques (BSL-4, [d’où l’appellation de “laboratoire P4”]). » Il faut alors préciser que cet Institut de Virologie mène également des recherches sur les virus au niveau BSL-2, qui n’offre pas de garanties optimales de biosécurité. Au contraire, comme nous l’ont confirmé nos sources, le niveau BSL-4 rend peu probable la fuite d’un agent pathogène. Cette parenthèse refermée, c’est à cet Institut de Virologie de Wuhan que les diplomates américains rencontrèrent Shi Zhengli en janvier 2018, sachant qu’ils s’alarmaient des failles sécuritaires qu’ils y observaient.

 

Tel que rappelé par notre confrère du Post, « les recherches [dirigées par Shi Zhengli] ont été conçues pour empêcher une éventuelle pandémie de type SRAS, en anticipant comment elle pourrait émerger. Or, dès 2015, d’autres scientifiques se sont demandés si l’équipe de Shi ne prenait pas des risques inutiles. En octobre 2014, le gouvernement américain imposa un moratoire sur le financement de tout projet de recherches qui rendrait un virus plus mortel ou contagieux – en vertu d’expériences de type “gain de fonctions”. » En mars dernier, nous avions déjà critiqué ce type de recherches, dont l’utilité divise la communauté scientifique à l’aune des risques majeurs qu’elles comportent.

 

Dans son important article, Rogin ajoute que, « comme beaucoup d’observateurs l’ont souligné, rien n’indique que le virus qui sévit actuellement dans le monde ait été conçu en labo ; une majorité de scientifiques s’accorde à dire qu’il provient des animaux. Or, cela ne signifie pas qu’il ne se soit pas échappé de [l’Institut de Virologie de Wuhan], qui teste des coronavirus de chauve-souris chez les animaux depuis des années, selon Xiao Qiang – un chercheur de la School of Information de l’Université de Californie à Berkeley. » Or, comme nous le constaterons dans la suite de notre enquête, différentes sources indiquent que Shi Zhengli a été mise en détention, après que ses recherches eurent été censurées par les autorités chinoises. Comme vous le constaterez au fil de notre enquête, nous nous trouvons au tout début d’une véritable affaire d’États.

 

Maxime Chaix 

 

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