En Syrie, le violent impact des sanctions occidentales sur la santé publique

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Récemment, la London School of Economics a publié un important article d’un expert syrien, mais qui est passé inaperçu dans nos médias. En cette période de pandémie, l’article en question nous explique l’impact délétère des sanctions occidentales sur la santé publique en Syrie. Il en résulte d’innombrables difficultés d’accès aux médicaments pour de nombreux Syriens, qui sont contraints de choisir entre se soigner et se nourrir. L’occasion pour nous de souligner un paradoxe : les activistes, politiciens et journalistes occidentaux qui prétendent se soucier du sort de la population syrienne continuent de refouler l’existence de cette guerre économique dévastatrice, qui fut lancée en 2011 par Washington et ses alliés européens. Or, ces sanctions pénalisent massivement le peuple syrien, et le frapperont davantage avec la mise en oeuvre du Caesar Act en juin prochain. Décryptage d’une guerre qui se poursuit par d’autres moyens.

 

Vous l’avez certainement remarqué : à chaque offensive majeure de l’armée syrienne et de ses alliés, les journalistes, experts, politiciens et activistes qui peuvent s’exprimer dans les médias nous annoncent une crise humanitaire aux proportions bibliques. Or, ils refoulent systématiquement le sort des millions de Syriens qui vivent en dehors des zones rebelles, et la souffrance quotidienne qu’ils endurent à cause des sanctions occidentales. Dans un récent article, qui a été relayé par la prestigieuse London School of Economics, un journaliste syrien nous détaille l’impact catastrophique de cette guerre invisible sur le système de santé syrien, qui frappe avant tout la population civile.

 

Dans ce contexte de pandémie globale, nous allons vous résumer les conséquences de ces sanctions sur l’industrie pharmaceutique locale, sachant qu’elles empêchent de nombreux Syriens de se procurer des médicaments – y compris pour soigner de graves pathologies. À première vue, cet état de fait pourrait sembler paradoxal. En effet, depuis 2011, Washington, Paris et leurs alliés affirment se soucier du bien-être d’une population syrienne contre laquelle ils continuent pourtant de planifier l’asphyxie économique, après avoir soutenu une vaste nébuleuse djihadiste pour tenter de renverser Bachar el-Assad – mais en vain. N’acceptant pas leur défaite face à leurs ennemis syriens, russes, iraniens et libanais, ils poursuivent leur guerre au Levant par d’autres moyens.

 

Comme le rappelle cet article relayé par la London School of Economics, « les sanctions occidentales contre la Syrie entament leur dixième année. Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, trois options se présentent. La première concerne la levée totale et inconditionnelle de ces sanctions, dans le but d’aider le gouvernement syrien à relever les défis auxquels est confronté son secteur de la santé, y compris la menace croissante posée par l’actuelle pandémie actuelle de coronavirus. La deuxième option est que ces sanctions restent pleinement opérationnelles ; avec le Caesar Act voté aux États-Unis – une loi qui resserre les sanctions contre la Syrie et qui devrait entrer en vigueur en juin –, cette option déboucherait sur une nouvelle phase d’étranglement économique de ce pays. La troisième option, qui est actuellement à l’étude, réside dans la levée partielle et conditionnelle de certaines sanctions, de manière à garantir avant tout un bénéfice humanitaire au peuple syrien. » Ce dernier argument suscite une importante observation.

 

L’on a souvent présenté Donald Trump comme un Président isolationniste, mais à tort. Certes, l’on constate qu’il tente de désengager ses troupes de l’Afghanistan, qu’il a su éviter une guerre ouverte avec l’Iran, et qu’il n’a pas lancé de conflit majeur depuis sa prise de fonction. En réalité, Trump ne fait que poursuivre la transformation entamée sous la présidence Obama, qui consiste à systématiser le recours aux guerres hybrides au détriment des interventions directes, qui sont plus coûteuses en vies humaines et en moyens financiers – à l’instar des campagnes irakiennes et afghanes lancées par George W. Bush durant son premier mandat. Dans l’éventail d’options qu’offrent les guerres hybrides, les sanctions constituent l’arme privilégiée de Donald Trump. Or, comme on a pu l’observer en Iran et au Venezuela, le contexte de pandémie ne le dissuade aucunement de durcir les régimes de sanctions unilatérales imposées à ces deux pays. Ainsi, l’on peut imaginer qu’il ne fera pas de concessions vis-à-vis de la Syrie, où il maintient des troupes afin de contrôler illégalement les champs pétroliers à l’Est. Sa politique de sanctions est donc l’un des principaux aspects de cette guerre hybride contre le gouvernement syrien, dont les administrés ont payé un lourd tribut depuis 2011.

 

En effet, toujours selon l’article précité, « il existe un consensus croissant sur le fait que les personnes vivant en Syrie ont été les principales victimes de ces sanctions, même si des [dignitaires] ou des institutions en ont été la cible directe. Les autorités syriennes affirment qu’il s’agit de mesures unilatérales et illégales, tandis que les chancelleries occidentales les considèrent comme un moyen de punir ce gouvernement et de lui infliger des pressions politiques et populaires. (…) L’examen de l’impact (…) de ces sanctions sur l’accès aux produits de base déjà gravement altéré par la guerre (nourriture, médicaments), nous aidera à mieux évaluer les conséquences humanitaires de ces mesures. » Précisons alors que l’auteur de cette analyse se concentre principalement sur le secteur pharmaceutique, qui avait connu une longue période de croissance durant les deux décennies précédant cette guerre. Par conséquent, en 2011, la Syrie était en mesure de produire 93% de ses médicaments. Or, du fait de ce conflit, 19 des 70 usines de médicaments furent mises hors d’usage. À partir de 2017, une majorité d’entre elles purent redémarrer leur production, sachant que la situation sécuritaire s’améliorait. À la fin 2019, on en comptait 92

 

Hélas, « en raison de l’impact de la guerre et de l’adoption de sanctions économiques, seules quelques-unes d’entre elles fonctionnent à pleine capacité actuellement. (…) [En fait,] les sanctions économiques progressivement imposées [par les puissances occidentales] depuis la mi-2011 ont eu un impact direct et indirect sur l’industrie, en termes de fabrication de médicaments, d’approvisionnement de leurs matières premières et de tarification. À l’aune de la dernière réglementation des prix du Ministère de la Santé publiée il y a plus de deux ans, les tarifs ont augmenté de 50%, obligeant de nombreuses familles syriennes à choisir entre obtenir de la nourriture et acheter des médicaments. » Il a notamment résulté de ces sanctions des pénuries de médicaments pour traiter les maladies chroniques, dont le diabète, l’hypertension artérielle et les maladies cardiaques. 

 

Au niveau commercial, ces sanctions imposées par les États-Unis et les pays membres de l’Union européenne ont eu comme conséquences :

 

1) d’empêcher des firmes multinationales de travailler avec des entreprises syriennes ;

 

2) d’augmenter les prix des matières premières en raison de leur monopolisation, de l’augmentation des coûts d’expédition et de la hausse des frais d’assurance ;

 

3) de contraindre les entreprises syriennes à payer d’avance les compagnies maritimes, ce qui leur a fait subir d’énormes pertes lorsque les firmes exportatrices renonçaient au transport des marchandises ;

 

4) de concentrer la livraison de ces marchandises depuis Beyrouth, en raison des restrictions sur l’utilisation du port syrien de Lattaquié, de celui de Tartous, ou de l’aéroport de Damas ; 

 

5) de stopper l’importation de matières premières efficaces, et de certains types de médicaments contenant ou emballant des matériaux qui n’étaient pas fabriqués localement (flacons, ampoules, réactifs de laboratoire, en particulier les composants de référence chimiques utilisés pour tester la qualité et la pureté des médicaments, etc.) ;

 

6) d’empêcher les transactions bancaires et les transferts d’argent, ce qui a conduit au refus de travailler avec des entreprises syriennes de la part d’un grand nombre d’entreprises fournissant des matériaux de production et des équipements tels que des pièces de rechange, des machines et du matériel de laboratoire.

 

Depuis 2011, ces sanctions engendrent donc des pénuries, qui frappent sévèrement la population locale et poussent les autorités syriennes à chercher des alternatives qui ne sont pas nécessairement conformes aux standards internationaux. Co-architectes de cette politique de sanctions, les États membres de l’Union européenne favorisent sournoisement ces pénuries, tout en affirmant se préoccuper du bien-être de la population syrienne. Précisons alors que le gouvernement des États-Unis semble être le plus zélé planificateur de cette guerre silencieuse, décrite dans un rapport interne des Nations-Unies comme « “l’un des régimes de sanctions les plus vastes et compliqués jamais imposé”, (…) les mesures américaines étant exceptionnellement sévères [– en particulier] “dans le domaine de l’approvisionnement de l’aide humanitaire.” » Ainsi, cet embargo bloque l’accès des Syriens à de nombreuses ressources vitales, dont « les équipements de transfusion sanguine, les médicaments, le matériel médical, l’alimentation, le carburant, les pompes à eau, les pièces détachées des centrales électriques, et bien plus. »

 

Par conséquent, comme l’explique cette analyse publiée par la London School of Economics, les prix des médicaments « restent inabordables pour les consommateurs, qui sont confrontés à d’énormes baisses de revenus par rapport aux taux d’inflation pendant la guerre, et en particulier ces deux dernières années. » Parmi les facteurs qui aggravent cette crise de santé publique, l’on peut citer « la difficulté de répondre aux besoins énergétiques du pays, étant donné la confiscation permanente des principaux puits de pétrole de l’Est syrien par les forces américaines. Cela a augmenté le coût de production, ce qui signifie que la capacité des consommateurs à acheter les médicaments dont ils ont besoin devrait encore diminuer. C’est peut-être aussi [cette confiscation des ressources pétrolières syriennes] qui explique pourquoi, fin 2019, les médicaments fabriqués localement ne représentaient que 66% de ceux homologués. » Vu l’impact de ces mesures, l’on a du mal à percevoir la volonté américaine d’agir « en faveur de la justice pour les victimes de crimes de guerre en Syrie ». En effet, les citoyens ordinaires de ce pays seront les premiers à subir cette politique de sanctions, qui leur est imposée depuis bientôt dix ans. Rappelons alors que, jusqu’en 2017, ils ont subi la gigantesque guerre secrète de la CIA et de ses alliés contre leur gouvernement, mais en faveur des pires groupes djihadistes dans cette région. Malgré la fin de cette campagne il y a bientôt trois ans, les Syriens continuent de subir les conséquences de cette guerre de changement régime, dont la poursuite des sanctions. 

 

Comme l’on pouvait s’y attendre, la crise globale et multiforme engendrée par le nouveau coronavirus aggrave leur situation. En effet, il s’avère que l’embargo imposé par l’Union européenne et les États-Unis a poussé les autorités syriennes à se fournir en Asie. Or, comme expliqué dans l’article que nous commentons, « la pandémie de coronavirus a davantage resserré l’étau sur l’industrie pharmaceutique syrienne, qui doit désormais affronter de nouveaux défis : augmentation des coûts des matières premières de 20 à 70% en raison des fermetures d’usines en Chine ; suspensions d’exportation de grandes quantités de matières premières clés par l’Inde et la Chine ; coûts de fret en hausse de plus de 300% du fait de la réduction des transports mondiaux. Selon le chef d’une entreprise pharmaceutique privée, le coût du fret aérien en provenance de Chine, qui est actuellement la principale source de matières premières du pays, est passé de cinq à quinze dollars par kilogramme. Du fait de ces développements, l’industrie pharmaceutique s’attend à ce que la production ralentisse davantage, peut-être à des niveaux jamais observés en Syrie depuis les années 1980, alors que ce pays faisait face à des troubles intérieurs et à de graves crises économiques. »

 

Face à cette montagne de problèmes, l’auteur de l’article que nous relayons préconise la levée des sanctions qui frappent l’industrie pharmaceutique syrienne depuis bientôt dix ans, et un difficile mais nécessaire effort de baisser les prix des médicaments du côté du gouvernement syrien. Hélas, il estime qu’« une hausse continuelle des prix, parallèlement à des contraintes croissantes sur le revenu mensuel forceront les familles syriennes à devoir faire un choix brutal, sachant que l’ONU estime que 85% d’entre elles sont en dessous du seuil de pauvreté. En d’autres termes, elles devront soit prioriser leurs besoins médicaux vis-à-vis de leur sécurité alimentaire, soit placer leur sécurité alimentaire avant leurs besoins médicaux en attendant de nouvelles sources de revenus. En conséquence, la vie des gens ordinaires continuera d’être menacée » par les sanctions des gouvernements occidentaux qui affirment se soucier de leur bien-être depuis 2011. En clair, si Assad, Poutine et leurs alliés sont loin d’être des anges, les opinions publiques occidentales devraient enfin comprendre la cruauté des politiques que leurs dirigeants imposent aux Syriens, et ce depuis bientôt dix ans. Ce fut le modeste objectif de cette analyse, que l’on vous encourage à diffuser le plus largement possible si elle vous semble pertinente.

 

Maxime Chaix

 

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