Récemment, Netflix et Investigation Discovery ont diffusé des documentaires sur le scandale Epstein. Problème : les liens entre cet homme et les services américains et israéliens, de même que les raisons de la protection judiciaire dont il a bénéficié à partir de 2007, n’ont pas été abordés dans ces deux programmes. En exclusivité pour nos abonnés, nous avons traduit un article qui nous permet de comprendre pourquoi. Édifiant.
« Affaire Epstein : les documentaires ne s’intéresseront pas à ses liens avec le monde du Renseignement »
Texte original par Elizabeth Vos
Traduction exclusive par Maxime Chaix
Le 31 mai, Investigation Discovery a présenté une émission spéciale de trois heures intitulée « Qui a tué Jeffrey Epstein ? ». Il s’agit du premier épisode d’une série en trois parties, qui portait sur le décès d’Epstein en août 2019 alors qu’il était emprisonné. Cette émission s’intéresse notamment à ses liens avec le milliardaire Leslie Wexner – le fondateur de la ligne de vêtements Victoria’s Secret –, à sa complice Ghislaine Maxwell, ainsi qu’à l’accord d’immunité judiciaire [qu’il avait signé avec les autorités américaines en 2007].
Cette émission spéciale fut précédée par la mini-série Netflix intitulée « Jeffrey Epstein: Filthy Rich », qui s’inspire d’un livre du même nom écrit par James Patterson.
Une publicité pour « Qui a tué Jeffery Epstein ? » promet que « des interviews exclusives et des enquêtes approfondies révèlent de nouveaux indices sur son milieu dépravé, sa vie privilégiée et sa mort controversée. Cette émission spéciale de trois heures cherche à répondre aux questions entourant la mort de cette figure énigmatique. » Et voici la présentation de Netflix pour « Jeffrey Epstein: Filthy Rich » : « Ancré dans les témoignages de ses victimes, ce docu-série examine comment le délinquant sexuel Jeffrey Epstein a mis sa fortune et son pouvoir au service de ses crimes. »
Cependant, aucun des deux documentaires ne traite des liens suspects d’Epstein avec le monde du Renseignement.
N’y apparaissent pas non plus les connexions de Ghislaine Maxwell aux services secrets israéliens via son père Robert Maxwell, l’ancien propriétaire du New York Daily News et du journal The Mirror à Londres. Ce dernier a reçu des funérailles d’État en Israël et il fut enterré sur le mont des Oliviers après être mystérieusement tombé de son yacht en 1991, dans l’océan Atlantique.
Dans une interview à Consortium News, l’ancien officier du Renseignement israélien Ari Ben-Menashe a déclaré qu’Epstein n’avait pas travaillé avec le Mossad. « Le Renseignement militaire [de l’État hébreu] était l’institution avec laquelle il travaillait », expliqua Ben-Menashe. « C’est une importante différence », a-t-il souligné. « Il n’a jamais travaillé avec le Mossad, et Robert Maxwell non plus. C’était le Renseignement militaire. »
Ben-Menashe a prétendu que Robert Maxwell était le « lien avec Epstein. Il gérait le canal [dans l’affaire Iran-Contra]. Le canal financier. »
Dans Epstein: Dead Men Tell No Tales, un livre publié en décembre dernier, Ben-Menashe affirma avoir travaillé avec Robert Maxwell, qui présenta sa fille et Epstein aux services de renseignement israéliens. Ils se seraient dès lors livrés à une opération de chantage pour Israël. « [Epstein] prenait des photos de politiciens b***ant des filles de quatorze ans, pour tout vous dire. [Epstein et Ghislaine Maxwell] faisaient simplement chanter les gens, ils les faisaient chanter ainsi », explique-t-il dans le livre.
Ben-Menashe affirma également que Robert Maxwell avait tenté de faire chanter le Mossad. « Il a vraiment perdu le nord quand il a commencé à jouer avec ces gens », a-t-il déclaré à Consortium News.
Le prince Andrew
Environ une semaine après la première des deux documentaires, le Ministère américain de la Justice approcha le Home Office du Royaume-Uni pour demander au prince Andrew de répondre à des questions sur ses liens avec Epstein, rapporta The Mirror. D’après cette source, en cas de refus, les procureurs américains demanderaient à ce qu’il soit déféré devant un tribunal britannique pour y être interrogé. Les avocats d’Andrew affirment qu’il a accepté à trois reprises d’être interrogé par les autorités américaines, mais on ignore s’il leur a imposées des conditions, telles que l’immunité.
Ces deux documentaires mentionnent le prince Andrew dans le contexte des allégations qui le visent de la part de l’une des victimes d’Epstein, Virginia Roberts Giuffre. Mais aucun de ces reportages n’entre dans les détails du rôle d’Andrew dans l’opération Epstein qui, selon Ben-Menashe, devait attirer des hommes puissants dans son orbite.
« L’un des éléments les plus essentiels de cette affaire est le fait qu'[Epstein] s’est lié d’amitié avec un idiot très utile appelé le prince Andrew », nous déclara Ben-Menashe. « Maintenant, ce qui s’est vraiment passé, c’est que ce prince Andrew, qui n’avait rien à faire d’autre, s’amusait avec ça. Il invitait des gens prestigieux à jouer au golf, puis il les emmenait se divertir. Enfin, Epstein entrait en scène, et ces gens étaient tout simplement victimes de chantage. »
« La seule personne qui puisse parler, qui en sait probablement beaucoup, est ce “grand prince” », déclara Ben-Menashe. « Il était tout le temps avec [Epstein]. Je ne sais vraiment pas non plus ce que le futur lui réserve. »
Par la suite, un certain nombre de personnalités influentes furent mentionnées dans un procès intenté par Virginia Roberts Giuffre contre Ghislaine Maxwell, et ce la veille de la mort d’Epstein dans sa cellule de prison fédérale à New York. Par conséquent, Ben-Menashe « commence à penser que ce procès fut sa condamnation à mort, parce que des gens ne voulaient pas y être nommés. C’est ma supposition, c’est juste une supposition. De toute évidence, quelqu’un a décidé qu’il devait partir. »
La mort d’Epstein a été qualifiée de « suicide » par le médecin légiste en chef de New York. Au contraire, un pathologiste engagé par le frère d’Epstein déclara qu’il s’agissait d’un homicide.
Un appel plein de rage
Juste avant que Ben-Menashe ne parle à Consortium News lundi dernier, il déclara avoir reçu un appel téléphonique furieux en provenance de la chaîne de télévision israélienne Channel 13.
« Ils m’ont appelé et ils sont devenus fous : “Quoi ? Vous croyez qu’Israël utiliserait des petites filles ? Vous dites ça ? Vous insultez la nation, vous nous portez préjudice dans le monde entier.” J’ai répondu : “La vérité est la vérité.” Et l’histoire de Jeffrey Epstein est quelque chose que personne ne voulait entendre. Il travaillait avec les Israéliens, il travaillait avec Maxwell », déclara Ben-Menashe.
Il ajouta : « C’est une très sombre histoire, et je peux comprendre pourquoi les Israéliens sont si inquiets sur cette question. Je pense que [Channel 13] exprimait de la colère, et je pense que c’était un message. Je n’aime pas les messages comme ça, vu le timing et ces histoires qui sortent sur Epstein. L’image [d’Israël] se dégrade mondialement, et à cela vient s’ajouter l’histoire d’Epstein. »
La voix des victimes
Les productions Netflix et Investigation Discovery permettent aux survivantes de raconter leurs expériences lors d’entretiens et d’enregistrements de la police. Ces documentaires se concentrent également sur l’immunité accordée à Epstein par l’ancien secrétaire au Travail de Trump, Alexander Acosta, durant son mandat en tant que procureur au district sud de Floride.
Chaque série décrit les relations d’Epstein avec Leslie Wexner, Ghislaine Maxwell et différentes figures de l’élite. Investigation Discovery se concentre sur la controverse entourant la mort d’Epstein, tandis que Netflix examine la deuxième tentative de le poursuivre en justice dans le contexte du mouvement MeToo.
La série Netflix décrit l’enquête initiale sur Epstein alors qu’elle était transférée au niveau fédéral, et diffuse des allégations selon lesquelles des journalistes de Floride couvrant cette affaire auraient reçu des menaces. Netflix interroge également la psychologue Dre Kathryn Stamoulis, spécialiste de la sexualité des adolescents, qui décrit le ciblage et la préparation des jeunes filles par Epstein. Sa victime Virginia Roberts Giuffre décrit le fait d’avoir été conditionnée à tolérer l’exploitation et le trafic sexuels chez une « famille dérangée ».
La dernière partie du quatrième épisode de la mini-série Netflix comprend le témoignage d’une autre survivante. D’après elle, il ne s’agirait pas simplement d’une opération Epstein, mais d’un « réseau international de trafic sexuel qui s’est déployé dans le monde entier ». Epstein y est décrit comme « une toute petite partie d’un immense réseau ». Or, le documentaire n’explore pas cette piste.
Comme dans l’affaire belge de Marc Dutroux, les victimes ont allégué que plusieurs agresseurs opéraient de concert, utilisant le chantage pour éviter les fuites. Dans les deux cas, les autorités et les médias ont décrit ces abus comme découlant principalement d’un ignoble prédateur solitaire.
« Ce ne serait pas la seule et unique fois qu’une telle chose se produirait, mais ce type est allé bien trop loin », nous déclara Ben-Menashe. « Il faisait probablement chanter trop de gens, trop de gens puissants. Et puis, c’est une histoire que les Israéliens ne voudraient pas révéler de toute façon. »
S’épanouir en eaux troubles
Un autre angle que les documentaires n’ont pas abordé était l’environnement dans lequel Epstein prospérait tel une floraison d’algues dans l’eau stagnante. En d’autres termes, il s’agit d’une longue histoire de réseaux de traite d’enfants liés aux agences de renseignement, et ce pour collecter des moyens de chantage. C’est dans cette réalité qu’Epstein semblait intouchable.
Omettre l’aspect « renseignement » de l’affaire Epstein permet aux médias de l’establishment de présenter son cas comme une aberration mystérieuse et insoluble, plutôt qu’une poursuite du statu quo chez les puissants.
Le refus flagrant d’aborder l’implication d’Epstein dans le monde du Renseignement devient flagrant lorsque Investigation Discovery et Netflix discutent du rôle d’Acosta dans la sécurisation de l’accord de plaidoyer d’Epstein, mais sans faire référence à son explication bien connue quant à la raison pour laquelle il aurait accepté ce deal. Tel que rapporté par le Daily Beast, Acosta déclara qu’il avait noué cet accord d’immunité parce qu’on l’avait informé qu’« Epstein “appartenait au Renseignement” et qu’il fallait le laisser tranquille. »
La journaliste indépendante Whitney Webb a rapporté les nombreux liens d’Epstein avec les services secrets, racontant à CNLive! en août dernier qu’il existait des preuves de connexions entre cet homme et la CIA.
Webb évoqua l’implication d’Epstein dans l’affaire Iran-Contra via ses efforts et ceux du milliardaire Wexner pour déplacer Southern Air Transport de la Floride vers l’Ohio – une firme qui était auparavant l’Air America de la CIA : « Ce qui est important ici, c’est que parmi toutes les compagnies aériennes aux États-Unis, Wexner et Epstein ont choisi la seule qui était démantelée, et réputée être à l’époque une société écran de la CIA. De toutes les compagnies aériennes qui existaient alors, c’est pour celle-ci qu’ils avaient opté », selon elle.
Webb cita également le reportage de Nigel Rosser, un journaliste britannique, qui écrivit dans l’Evening Standard en 2001 qu’Epstein affirmait avoir travaillé pour la CIA durant les années 1990.
Déformations de la réalité
Investigation Discovery et Netflix ont déformé la réalité sur les liens de Wexner avec Epstein, oubliant de rappeler que le premier eut offert au dernier la plus grande résidence privée de New York – et ce quasi-gratuitement. Investigation Discovery ne mentionne pas le fait que cette demeure était abondamment câblée avec du matériel de surveillance, selon Webb et le New York Times.
« Avant d’écrire son livre sur Epstein, Filthy Rich, sur lequel est basé ce documentaire [de Netflix], James Patterson a écrit un roman avec Bill Clinton [Le président est absent], qui est bien sûr assez proche du scandale d’Epstein de sorte que, à mon avis, cet ouvrage suscite l’étonnement », a déclaré Webb à Consortium News.
« Je pense que l’un des objectifs de ce documentaire [de Netflix] est d’instiller l’idée qu’Epstein était le chef de l’opération et que, maintenant qu’il est mort, toutes ces activités ont cessé », selon Webb. « S’ils avaient réellement pris la peine d’explorer l’angle du Renseignement, dans certains des faits les plus évidents concernant l’affaire – comme le rôle de Leslie Wexner par exemple –, il est évident qu’Epstein était un peu plus qu’un simple gestionnaire de ce type d’opérations, [et] que ces activités se poursuivent. »
Webb déclara que l’une des principales raisons d’éviter de discuter de l’angle du Renseignement tient au fait que toute mention d’un soutien étatique conduirait à des demandes d’enquêtes sur les antécédents de chantage sexuel des services secrets. « Par conséquent, s’ils avaient accordé un traitement même superficiel à ces liens, cela aurait exposé des fils qui, si quelqu’un avait pris la peine de les tirer un peu, commenceraient à démêler beaucoup de choses qu’évidemment, ces personnes et institutions puissantes ne veulent pas voir exposées », selon Webb.
Plus de neuf mois depuis la mort d’Epstein, aucun de ses complices présumés n’a été arrêté ou inculpé d’un quelconque crime malgré les informations faisant état d’une enquête criminelle active sur Ghislaine Maxwell – qui a disparu –, et de multiples tentatives infructueuses de présumées victimes d’Epstein de la poursuivre au civil.
« L’affaire pénale qui visait [Epstein], et toutes les preuves qui ont été rassemblées contre lui dans ce cadre, ne seront jamais rendues publiques, à moins que quelqu’un d’autre ne soit inculpé », a déclaré Webb. « Donc, le fait qu’ils ne ciblent personne d’autre est assez révélateur, et le fait que la presse grand public ne dénonce pas cet état de fait, je pense que c’est également révélateur. »
L’omission des principaux aspects de l’affaire Epstein par les médias, en particulier ses liens avec la communauté du Renseignement, semble être un autre exemple de tampon entre la Justice et ceux qui sont responsables de l’avoir protégé.
Texte original par Elizabeth Vos
Traduction exclusive par Maxime Chaix