Parmi les universitaires qui nous inspirent le plus, l’on peut citer Max Abrahms. Professeur agrégé de sciences politiques à la Northeastern University, il est l’un des meilleurs experts mondiaux des mouvements terroristes au sens large, en plus d’être un observateur avisé du Moyen-Orient et un critique subtil de la Pax Americana. Il vient de nous transmettre son dernier article, dans lequel il ironise sur l’obsession de John Bolton pour renverser des gouvernements sans proposer de dirigeants alternatifs – et ce depuis la présidence de George W. Bush. Avec son accord, nous l’avons traduit car nous partageons son indignation. En clair, lorsqu’il était conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump, John Bolton nous était présenté comme l’incarnation du Mal absolu par les médias « progressistes ». Or, sachant qu’il sort un livre contre l’actuel locataire de la Maison-Blanche, il bénéficie d’une promotion massive et outrancièrement complaisante dans cette même presse bienpensante. Voici donc une tribune de Max Abrahms qui, sans pour autant défendre Donald Trump, remet utilement quelques pendules à l’heure.
« John Bolton veut renverser des dirigeants sans leur trouver de remplaçants »
Texte original par Max Abrahms
Traduction exclusive par Maxime Chaix
Imaginez-vous écrire un best-seller pour empêcher la réélection du Président, mais sans avoir réfléchi quelques secondes pour qui vous allez voter pour le remplacer ?
Bienvenue dans le monde de John Bolton, l’ancien conseiller à la Sécurité nationale de Donald Trump. Ces dernières décennies, il a notoirement utilisé sa position élitaire à Washington afin de promouvoir des guerres inutiles de l’Amérique du Sud au Levant, en passant par le golfe Persique et la péninsule coréenne.
L’année dernière, il fut limogé par son patron, apparemment pour avoir tenté de déclencher la Troisième Guerre mondiale. En conséquence, il rédigea un ouvrage de révélations, qui est décrit comme « le témoignage le plus accablant de la part d’un initié de l’administration Trump ».
Même avant sa sortie officielle ce mardi, des extraits de ce livre ont été publiés sur Internet. Et logiquement, Bolton donna de nombreuses interviews, ne perdant aucune occasion de décrire son ancien patron comme [un Président] corrompu et inapte à exercer ses fonctions.
« En 2016, j’ai préféré voter pour Trump plutôt que pour Hillary Clinton », déclara Bolton au Telegraph dans un entretien publié dimanche. « Or, après avoir étroitement fréquenté ce Président, je ne pourrai [plus voter pour lui]. Je me préoccupe avant tout de l’avenir de notre pays, et il ne représente pas la cause républicaine que je souhaite soutenir. »
Pour qui Bolton vote-t-il ?
Le sous-entendu évident dans cette déclaration était que Bolton prévoyait de voter pour un autre candidat à la présidentielle, tel que le challenger démocrate. Fin connaisseur des arcanes de Washington, il sait probablement que les États-Unis sont régis par un système politique bipartisan, dans lequel ceux qui ne soutiennent pas le Président républicain voteront certainement pour le futur candidat démocrate.
Sur la base de ses remarques anti-Trump, les observateurs politiques sur Twitter ont logiquement compris que Bolton voterait pour Biden en 2020, d’autant plus que le seul objectif de ses mémoires est de torpiller [le Président sortant].
Or, quelques heures plus tard, sa porte-parole républicaine de toujours, Sarah Tinsley, déclara à CNN qu’en réalité, « cette affirmation est incorrecte. L’ambassadeur n’a jamais dit qu’il prévoyait de voter pour Joe Biden. » Elle tenta ensuite de clarifier sa position : « Il ne votera pas pour Biden ou pour Trump. » En noyant le poisson lors d’une interview sur ABC, Bolton déclara qu’il devait « trouver un Républicain conservateur à choisir ».
Vous pensez peut-être qu’il est étrange que Bolton tente de faire tomber un leader politique sans avoir aucune idée, ni même une quelconque préoccupation pour le choix de son remplaçant. Or, c’est du Bolton typique.
La manie de Bolton de renverser les dirigeants
John Bolton a pris l’habitude d’être à la fois le premier et le dernier homme dans la pièce à plaider en faveur d’un changement de régime. Ses efforts inlassables ont toujours consisté à vendre la solution du changement de régime – pas sur la base de la compréhension, ni même de la préoccupation pour l’avenir.
Prenez l’exemple de l’Irak, un pays dont Bolton souhaitait renverser [le dirigeant] dès les années 1990, avant qu’il ne finisse par mentir à l’opinion américaine sur la nécessité impérieuse de faire tomber ce dictateur après le 11-Septembre. Le principal argument en faveur d’un changement de régime dans ce pays était que Saddam Hussein transmettrait sa réserve clandestine d’armes de destruction massive à al-Qaïda. Hélas, mais sans surprise, nous n’avons jamais trouvé cette cachette d’ADM, et l’Irak est devenu l’un des principaux sanctuaires d’al-Qaïda, cette organisation comblant le vide du pouvoir après la chute de Saddam.
À ce jour, Bolton insiste sur le fait qu’il n’éprouve aucun regret pour cette décision fatidique. Peu importe que ce changement de régime ait favorisé le même genre de terroristes djihadistes qu’il était censé neutraliser.
Bolton n’a pas non plus réfléchi à l’éventualité qu’un renversement du pouvoir en Irak renforcerait son voisin iranien. Lorsque c’est arrivé, il se contenta de répéter que « la politique officielle des États-Unis devrait être de faire tomber le régime des mollahs à Téhéran ».
Avec un tel plaidoyer incessant, qui pouvait prendre le temps de se demander si une telle politique ne déclencherait pas une nouvelle guerre civile interminable [en Iran], qui favoriserait des extrémistes anti-américains encore plus dangereux ?
En Syrie également, Bolton plaida pour le renversement d’Assad afin de progresser contre Daech, même si ces derniers sont des adversaires. Après avoir promu l’argument populaire à Washington voulant que seuls les « rebelles » anti-Assad combattaient l’État Islamique, [Abou Bakr al-Baghdadi] fut retrouvé parmi eux.
Alors que chaque observateur politique avisé reconnaît que le changement de régime en Libye est une catastrophe humanitaire et stratégique massive qui engendra plus de terrorisme, de guerre civile, d’esclavage sexuel et de réfugiés, Bolton plaida pour que le « modèle libyen » soit appliqué à la Corée du Nord.
Comme l’on pouvait s’y attendre, Bolton réclama la « fin » du régime de Kim Jong-un sans penser aux externalités négatives qui s’imposeraient dans cette hypothèse. En clair, Bolton a peut-être raison d’affirmer que les États-Unis bénéficieraient d’un changement de régime – mais cette fois-ci sur notre propre territoire. Or, il est loin d’être le mieux placé pour défendre cette option.
Texte original par Max Abrahms
Traduction exclusive par Maxime Chaix