Le consensus pro-guerre à Washington et l’impossible fin des « guerres sans fin »

Shares

Récemment, le New York Times a désigné la source des rançons suspectées d’avoir été transmises par les services russes aux Taliban, potentiellement dans le but de tuer des soldats américains. Le jour-même, d’influents Démocrates au sein du Congrès se liguèrent avec des faucons républicains, dont la fille de Dick Cheney, afin de prolonger la présence militaire américaine en Afghanistan. Dans la foulée, nous apprenions que des centaines d’anciens membres de l’administration de George W. Bush en appelaient à voter Biden, à l’instar de nombreuses ex-figures de l’armée et des renseignements – et surtout de l’ultra-belliciste John Bolton. Bien que Trump soit loin d’être irréprochable, l’on sent monter la pression du parti pro-guerre aux États-Unis avant la prochaine présidentielle, ce qui confirme l’impossibilité de mettre un terme aux « guerres sans fin » de Washington. Décryptage. 

 

Le 2 juillet dernier, notre confrère Glenn Greenwald rappela que « les militaires américains combattent en Afghanistan depuis près de dix-neuf ans. Les Démocrates de la Chambre des Représentants, en tandem avec les principaux législateurs du Parti Républicain pro-guerre tels que la représentante Liz Cheney [– la fille de Dick Cheney –], veillent à ce qu’ils poursuivent cette opération. Hier soir, la Commission des Forces Armées au sein de cette institution a voté à une écrasante majorité en faveur d’un amendement – parrainé conjointement par le député démocrate Jason Crow du Colorado et la députée Cheney du Wyoming –, interdisant toute réduction du nombre de soldats américains déployés en Afghanistan en dessous de 8 000 sans une série de conditions préalables. »

 

Greenwald précise que, « pour obtenir l’autorisation de rapatrier ces soldats, le Département de la Défense doit être en mesure de certifier, entre autres, que le départ de l’Afghanistan “n’augmentera pas le risque d’expansion des refuges terroristes à l’intérieur de [ce pays]”, et qu’il “ne compromettra ni n’affectera autrement la mission antiterroriste américaine en cours contre l’État Islamique, al-Qaïda et les forces qui leur sont liées”. » Sans surprise, « cet amendement Crow/Cheney à la Loi sur l’autorisation de la défense nationale (NDAA) fut adopté par 45 voix contre 11. La NDAA fut ensuite approuvée à l’unanimité par la commission, soit 56 voix au total. Elle autorise 740,5 milliards de dollars de dépenses militaires, soit environ trois fois plus que le deuxième budget mondial – celui de la Chine. »

 

Puisqu’il est question de l’Empire du Milieu, rappelons ces propos du milliardaire chinois Jack Ma au Forum de Davos, en janvier 2017 : « Jusqu’à présent, les Américains ont lancé 13 guerres qui leur ont coûté 40,2 trillions de dollars (…) Que se serait-il passé s’ils avaient dépensé une partie de cet argent pour développer les infrastructures, pour aider les fonctionnaires et les ouvriers ? Peu importe si cela était bien ou pas, stratégiquement parlant : vous êtes censés utiliser l’argent pour votre propre population ». Avec un tel niveau de dépenses militaires, il est évident que – si l’industrie de la défense américaine a largement bénéficié de ces choix budgétaires –, la désindustrialisation et la financiarisation sans limite ont fait beaucoup de mal aux États-Unis. En outre, si nous ne sommes pas d’accord avec Jack Ma sur le fait que ce sont ces guerres coûteuses qui ont engendré ces problèmes économiques, il est clair que les conflits sans fin de Washington les aggravent.

 

En septembre 2010, le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz estimait ainsi que « la hausse des cours du pétrole [provoqué par la campagne irakienne de Bush fils] a eu un effet dévastateur sur l’économie. Il est incontestable que la guerre en Irak a considérablement gonflé la dette américaine. C’est la première fois dans l’histoire du pays que le gouvernement a réduit les impôts alors qu’il partait en guerre. Résultat : un conflit entièrement financé par l’emprunt. La dette américaine est passée de 6 400 milliards de dollars en mars 2003 à 10 000 milliards en 2008, avant la crise financière : au moins un quart de cet accroissement est directement imputable à la guerre. » Dix ans plus tard, la dette publique américaine est estimée environ 26 000 milliards de dollars. Certes, les investisseurs s’arrachent les bons du Trésor américains, notamment ceux dont l’échéance est à 20 ans. Or, certains experts – dont Niall Ferguson, Marc Simard ou Kerry de Kerckhove –, estiment qu’un risque de guerre civile, voire de « scission définitive de la société américaine » dans la foulée du prochain duel entre Trump et Biden n’est pas à exclure. En d’autres termes, les marchés surestiment la stabilité des États-Unis, et l’endettement de ce pays n’a plus de limites – ce qui n’est pas sans danger

 

Comme nous l’avons souligné, le militarisme débridé de Washington depuis le 11-Septembre contribue nettement à gonfler cette dette. Malgré tous ses défauts, Donald Trump en a conscience. Lors d’un récent discours à West Point, il a répété qu’il mettait un terme aux « guerres sans fin » des États-Unis. En réalité, il a poursuivi l’abandon des interventions massives amorcé sous Obama au profit des guerres hybrides, des opérations spéciales et des guerres par procuration. Il en résulte que l’opinion américaine n’est majoritairement pas consciente de ces offensives et de leurs conséquences. Parallèlement, les budgets de défense ont massivement augmenté durant son premier mandat, et la Chine et la Russie sont désignées par Washington comme les nouvelles menaces stratégiques depuis 2018. Essentiellement, Trump a continué de déplacer la guerre dans le champ juridique, financier et économique, comme on a pu le constater en Syrie, en Iran, au Vénézuela ou en Chine. Certes, l’actuel locataire de la Maison-Blanche n’a pas lancé d’invasion majeure – au grand dam de son ancien conseiller la Sécurité nationale John Bolton. Néanmoins, les politiques que nous venons de citer préparent les conflits de demain, et aggravent les tensions actuelles.

 

Prenons simplement l’exemple de la Syrie. Durant l’été 2017, Trump prit la bonne décision de stopper la catastrophique opération Timber Sycamore. Les deux années suivantes, il annonça à plusieurs reprises qu’il souhaitait retirer les troupes américaines du Nord-Est syrien. Or, il s’avère qu’il y maintient encore 400 soldats, dans le but officiel de « sécuriser [un] pétrole » qui pollue massivement la nature dans cette zone. En outre, il a intensifié cette guerre sur le terrain économique, avec un nouveau régime de sanctions qui frappe très durement la population locale. Ce n’est pas une façon de terminer les « guerres sans fin » – bien au contraire.

 

En revanche, sachant que le conflit afghan va entrer dans sa vingtième année, Donald Trump se devait d’y mettre un terme – d’autant plus qu’il s’agissait d’une promesse de campagne. Peu après l’annonce d’un plan de retrait total des troupes américaines de pays en 2020, le New York Times provoqua le scandale des supposées rançons russes en faveur des Taliban, ce qui offrit une justification à Liz Cheney pour s’opposer à ce projet. Or, comme nous l’avons constaté en préambule, elle a été suivie par de nombreux Démocrates pour imposer son amendement contre toute réduction précipitée des troupes américaines en Afghanistan. Au même moment, l’on a pu constater le ralliement, derrière la candidature de Joe Biden, de plusieurs centaines de Républicains issus de l’administration Bush. Or, celle-ci est la première responsable du déclenchement de ces « guerres sans fin » depuis le 11-Septembre. Par conséquent, que Trump soit réélu ou pas, il devra composer avec un fort soutien bipartisan en faveur du militarisme et de l’interventionnisme sans limite qui s’est imposé à Washington. Vu les enjeux financiers colossaux derrière ce processus, nul doute que les États-Unis continueront de perdre leurs guerres interminables, contrairement à leurs marchands d’armes et de renseignements. 

 

Maxime Chaix 

 

Shares

Laisser un commentaire

*
*

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.