Récemment, un organe de guerre psychologique de l’Union européenne a osé affirmer que les sanctions occidentales contre la Syrie n’affectaient pas la population locale. Or, aux États-Unis comme en Europe, de nombreux experts estiment le contraire. Plus grave encore : il n’y a jamais eu d’étude d’impact sur lesdites sanctions, qui ont été nettement durcies depuis juin dernier et la mise en oeuvre du Caesar Act par Washington. En réalité, aucune enquête officielle n’est menée par le gouvernement des États-Unis pour mesurer les conséquences des sanctions qu’il impose à de nombreux pays. Ce scandaleux état de fait pourrait changer, en vertu d’un amendement de Tulsi Gabbard qui vient d’être approuvé à la Chambre des Représentants, et qui pourrait être adopté définitivement par le Sénat. En voici les principaux apports.
Dans un article de propagande présenté comme une démarche de vérification factuelle, l’un des organes de guerre psychologique de l’Union européenne nommée EUvsDisinfo.eu a osé affirmé que les sanctions occidentales n’affectaient pas la population syrienne. C’est évidemment faux puisque des dizaines d’experts ont dénoncé le contraire dans les médias occidentaux à l’occasion de la mise en oeuvre du Caesar Act. Nous avions nous-mêmes détaillé l’impact catastrophique de ces sanctions dans un récent article, où nous citions des spécialistes mondialement réputés. Logiquement, au lieu de reconnaître que ces embargos ont de sévères conséquences sur la population syrienne, l’Union européenne préfère tromper l’opinion internationale en le niant. Hélas, l’on sait depuis bientôt 8 ans que les sanctions imposées à la Syrie par l’UE et les États-Unis ne touchent pas uniquement le gouvernement Assad, mais avant tout sa population.
En effet, comme l’avait documenté le Danish Institute for International Studies (DIIS) dans un rapport d’octobre 2012, « les répercussions des sanctions se font ressentir bien au-delà des palais présidentiels syriens, des quartiers généraux de la sécurité et des bureaux des magnats des affaires affiliés au régime. S’ajoutant à la hausse de l’inflation en Syrie, à l’augmentation du taux de chômage, à la baisse des salaires et aux difficultés d’importation des marchandises – y compris de la nourriture et des médicaments –, les sanctions ont gonflé les coûts socioéconomiques du conflit et exacerbé les difficultés préexistantes auxquelles sont confrontées des parties importantes de la population. » Commandé par le ministère danois des Affaires étrangères, ce rapport ne relève pas de la « désinformation pro-Kremlin », mais reflète des réalités de terrain qui sont ignorées par Bruxelles et Washington.
Pourtant, selon un rapport interne des Nations Unies révélé en septembre 2016, les sanctions des États-Unis et de l’UE contre la Syrie bloquent l’accès à de nombreuses ressources vitales, dont « les équipements de transfusion sanguine, les médicaments, le matériel médical, l’alimentation, le carburant, les pompes à eau, les pièces détachées des centrales électriques, et bien plus. » Il s’agirait en fait de « “l’un des régimes de sanctions les plus vastes et compliqués jamais imposé”, (…) les mesures américaines étant exceptionnellement sévères [– en particulier] “dans le domaine de l’approvisionnement de l’aide humanitaire.” » Néanmoins, ce rapport n’étant pas censé être rendu public, les conséquences délétères de cet embargo ne sont pas reconnues par Washington et les chancelleries européennes. En réalité, il n’existe pas de mécanisme officiel permettant de mesurer l’impact de telles sanctions, ni aux États-Unis, ni en Europe. Par conséquent, il est possible d’assimiler toute critique de ces stratégies punitives à de la « désinformation pro-Kremlin », alors qu’elles sont à l’origine de plusieurs millions de morts depuis trois décennies.
Ce scandaleux état de fait pourrait changer grâce à la courageuse Tulsi Gabbard, dont nous avons déjà parlé dans nos colonnes. Élue démocrate à la Chambre des Représentants, elle vient de réussir à faire voter un important amendement. S’il est adopté par le Sénat, il imposerait au gouvernement des États-Unis un rapport initial puis annuel à transmettre au Congrès, afin de décrire l’impact humanitaire des embargos de Washington contre les différents pays ciblés. Comme elle l’a souligné dans un communiqué de presse, « trop souvent, des sanctions américaines sont imposées à un autre pays dans le but de “punir” le dirigeant de cette nation sans tenir compte de leur impact réel. En réalité, de telles mesures sont comme un siège moderne ; elles affectent surtout les citoyens du pays sanctionné, limitant leur approvisionnement en nourriture, en eau, en médicaments et en produits de première nécessité dont ils ont besoin pour survivre. Cela entraîne de graves maladies, de nombreuses souffrances et la mort. En parallèle, le chef du pays sanctionné n’est bien souvent pas affecté par ces mesures ». Elle ajouta qu’« actuellement, il n’existe aucune évaluation ni responsabilité des dirigeants de notre pays vis-à-vis des catastrophes humanitaires provoquées par ces sanctions. »
Comme l’a résumé notre confère Matthew Petti, « à travers le monde, le Département du Trésor exclue plus de huit mille personnes de l’économie américaine, dans le cadre de 35 programmes de sanctions différents, dont certains datent de plusieurs décennies. En outre, sont imposés des blocus économiques américains presque complets sur la Corée du Nord, Cuba, l’Iran, le Venezuela et la Syrie. Or, le gouvernement des États-Unis n’a jamais eu à mesurer publiquement le succès de ces sanctions – c’est-à-dire à évaluer si elles font réellement pression sur des gouvernements hostiles sans nuire aux civils. Cela pourrait changer l’année prochaine, si la Représentante Tulsi Gabbard réussit son pari. Cette franc-tireur de la politique étrangère a fait adopter avec succès un amendement au budget militaire, qui obligerait le Président à collecter et à publier des données sur l’impact des sanctions américaines dans le monde chaque année. Cet amendement doit encore être adopté par le Sénat mais, s’il entre dans le budget militaire, il fera presque certainement partie de cette législation. »
Toujours selon Matthew Petti, « le débat sur la question de savoir si les sanctions marchent s’est envenimé ces derniers mois. Or, il n’existe aucune source exhaustive de données que les deux parties puissent invoquer. L’amendement de Gabbard changerait cela. Il obligerait le Président, le Département d’État, le Trésor, le Département du Commerce, l’Agence des États-Unis pour le Développement international et l’ambassadeur des États-Unis aux Nations Unies à publier un rapport annuel sur l’effet des sanctions sur les pays étrangers. » En attendant, de nombreuses sources crédibles nous permettent de savoir que ces embargos, s’ils n’aboutissent jamais à la chute d’un dictateur, punissent collectivement des dizaines de millions de personnes que Washington et leurs alliés prétendent vouloir aider. Il serait donc étonnant que le Sénat à majorité républicaine valide l’amendement de Tulsi Gabbard, même si rien n’est impossible vu le soutien bipartisan dont il bénéficie.
Maxime Chaix