En exclusivité pour nos abonnés, voici la traduction d’un passionnant article, qui décrit comment la pandémie accélère un bouleversement déjà à l’oeuvre avant cette crise : la future robotisation des forces américaines. À travers cette analyse, vous découvrirez comment le Pentagone développe des « robots tueurs » et autres systèmes de combat automatisés ce qui, dans un contexte d’essor de l’intelligence artificielle, nous rappelle le scénario de Terminator. Loin d’être de la science fiction, le développement de ces systèmes est devenu une priorité stratégique pour les États-Unis. Or, ces armes induisent des risques majeurs pour notre sécurité collective, comme nous l’explique l’auteur de cette analyse.
« Le Pentagone confronté à la pandémie »
Texte original par Michael T. Klare (TomDispatch.com, 19 juillet 2020)
Traduction exclusive par Deep-News.media
Le 26 mars, le coronavirus a accompli ce qu’aucun adversaire étranger n’avait été capable de faire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale : ce virus a forcé un porte-avion américain, l’USS Theodore Roosevelt, à suspendre ses opérations de patrouille et à trouver refuge dans un port. Quand le navire arriva sur les quais de Guam, des centaines de marins avaient été infectés par la maladie et la quasi totalité de l’équipage avait dû être évacué. Alors que les nouvelles de la crise à bord du TR (comme le navire est couramment appelé) devinrent publiques, une rumeur affirmant qu’au moins 40 autres navires américains, dont le porte-avions USS Ronald Reagan et le destroyer à missiles guidés USS Kidd, souffraient de l’épidémie Covid-19. Aucunes de ces situations n’étaient aussi graves qu’à bord du TR. En juin, la Navy était de nouveau capable de déployer la plupart de ses navires avec un calendrier différé et des équipages réduits. Dès lors, il apparaissait clairement que la stratégie américaine traditionnelle, qui repose sur de grands navires lourdement armés chargés de projeter la puissance américaine et de vaincre ses adversaires extérieurs n’était plus soutenable dans un monde frappé par une pandémie.
La Navy apprenait ainsi que sa préférence en faveur d’équipages nombreux – habituellement entassés dans des espaces restreints pour de longues périodes –, s’avérait être une stratégie sans avenir, sachant que l’un des marins infecté sur le TR était mort de complications dues au Covid-19. En parallèle, l’Armée et le Corps des Marines découvraient la même chose. Leur stratégie favorite vise à créer des partenariats avec les forces locales de lointaines régions du monde telles que l’Irak, le Japon, le Koweït et la Corée du Sud, où l’on ne peut pas toujours se fier aux dispositions des autochtones contre les maladies infectieuses. Inversement, comme on a récemment pu l’observer à Okinawa, les alliés de Washington ne pouvaient compter sur le fait que les troupes américaines n’aient pas été contaminées. Cette stratégie comporte de sérieuses failles.
À court terme, les fonctionnaires de la Défense américaine ont répondu à ces problèmes avec diverses mesures, dont l’envoi de bombardiers à capacité nucléaire B-1, B-2 et B-52 sur des missions de longue portée en zones contestées, telles que la mer Baltique (message à Moscou) et la mer de Chine méridionnale (message à Pékin, bien entendu). À la suite de telles opérations, le général Timothy Ray, commandant du Global Strike Command de l’US Air Force, insista : « Nous avons les moyens et la capacité de mener des tirs longue-distance dans le monde entier, à n’importe quel moment, et nous pouvons déployer une force de frappe écrasante ».
Dans un autre signe de désespoir tactique, la Navy ordonna à l’équipage bouleversé du TR de sortir de son confinement en mai afin que le navire puisse participer à des exercices programmés de longue date, qui incluaient des porte-avions destinés à menacer la Chine dans le Pacifique occidental. Or, un tiers de son équipage a dû rester dans les hôpitaux ou en quarantaine à Guam. « Nous travaillons comme prévu pour retourner en mer et combattre malgré le virus fait partie de notre mission », a déclaré le nouveau capitaine du navire, Carlos Sardiello, alors que le TR se préparait à quitter cette île du Pacifique. (NB : Il avait été nommé capitaine le 3 avril après la médiatisation d’une lettre de l’ancien commandant du navire, Brett Crozier, dans laquelle il se plaignait à ses supérieurs de la détérioration des conditions de santé à bord de ce porte-avion, ce qui entraîna son renvoi par les hauts responsables de la Navy).
Ces mesures palliatives, et d’autres comme celles qui sont actuellement prises par le Département de la Défense, continuent de donner à l’Armée un sentiment d’opérationnalité permanente, voire d’agressivité, à une époque de restrictions liées au Covid-19. Si l’actuelle pandémie s’estompait dans un avenir suffisamment proche, et que la vie revenait à la normalité, elles pourraient sembler adéquates. Les scientifiques avertissent, cependant, que le coronavirus persistera probablement sur le long terme et qu’un vaccin – même s’il est développé avec succès –, peut ne pas s’avérer efficace pour toujours. Par ailleurs, de nombreux virologues estiment que de nouvelles pandémies, potentiellement encore plus meurtrières que le Covid-19, pourraient se profiler à l’horizon, ce qui signifie qu’il pourrait ne jamais y avoir de retour à une « normalité » pré-pandémique.
Cela étant dit, les responsables du Pentagone ont été contraints de reconnaître que les fondements militaires de la stratégie globale de Washington – en particulier, le déploiement avancé des forces de combat en étroite coopération avec les forces alliées –, sont peut-être devenus obsolètes. Reconnaissant ce brutal changement de réalité, les stratèges américains se mettent à concevoir un projet entièrement nouveau pour les futures guerres « à l’américaine » : un plan qui mettrait fin, ou du moins qui réduirait considérablement la dépendance vis-à-vis de centaines de garnisons déployées à l’étranger et de grands navires de guerre avec leurs équipages, en les remplaçant par des robots tueurs, une myriade de navires sans pilote et des bases offshore.
Des navires sans marins
En fait, les plans de la marine pour remplacer les gros navires avec équipage par de petits navires sans pilote n’ont été qu’accélérés par le déclenchement de la pandémie. Plusieurs facteurs avaient déjà contribué à cette tendance : les navires de guerre modernes comme les porte-avions à propulsion nucléaire et les croiseurs armés de missiles étaient de plus en plus coûteux à construire. Dernier en date, l’USS Gerald R. Ford a coûté 13,2 milliards de dollars et ne fonctionne toujours pas comme il le devrait. Ainsi, même un Pentagone abondamment financé ne peut se permettre d’en construire que quelques uns à la fois. En outre, ils se révèlent de plus en plus vulnérables aux types de missiles anti-navires et de torpilles mis au point par des puissances telles que la Chine. Or, comme le suggèrent les événements sur le TR, ces navires sont des terrains de reproduction naturels pour les maladies infectieuses.
Jusqu’au désastre à bord du Theodore Roosevelt, le plus inquiétant était l’existence d’armes terrestres anti-navires chinoises capables de frapper des porte-avions et des croiseurs américains dans des régions éloignées de l’océan Pacifique. Cette évolution avait déjà contraint les planificateurs navals à envisager la possibilité de garder leurs biens les plus précieux loin des côtes chinoises dans l’éventualité d’un échange de tirs, de peur qu’ils ne soient instantanément coulés par les tirs ennemis. Plutôt que d’accepter une telle possibilité de défaite avant même le début d’une bataille, les responsables de la marine avaient commencé à adopter une nouvelle stratégie, parfois appelée « opérations maritimes réparties », dans laquelle les petits navires de guerre avec équipages seraient accompagnés au combat par un grand nombre de minuscules bateaux sans pilote armés de missiles – de véritables « robots tueurs » maritimes.
Reflétant la nouvelle pensée de la Marine, le directeur des forces de surface, le contre-amiral Ronald Boxall, expliqua en 2019 que la future flotte devait comprendre « 104 grands combattants de surface [et] 52 petits combattants de surface », ajoutant que : « Ce devrait être un peu l’inverse. Dois-je chercher à avoir plus de petites plateformes ? Je pense que l’étude sur la future architecture de notre flotte a laissé entendre que “oui”, et nos simulations de guerre montrent qu’il y a de la valeur ajoutée à ce niveau (…) Et quand je regarde la force navale actuelle, je me demande : “où pouvons-nous utiliser des navires sans pilote pour que je puisse défendre l’utilisation de plateformes plus petites ?” ».
Considérez ces déclarations comme un signe public et précoce de la montée en puissance de la guerre robotique navale, qui transpose les fantasmes futuristes et dystopiques sur les prochains champs de bataille réels. Dans la version « marine » de ce paysage modifié, un grand nombre de vaisseaux sans pilote – à la fois des navires de surface et des sous-marins –, patrouilleront les océans du monde entier, transmettant par voie électronique des rapports aux opérateurs humains sur la terre ferme ou dans des navires de commandement spécifiques. Ils pourraient aussi fonctionner en autonomie ou dans des « meutes de loups » robotiques.
Récemment, cette vision a été adoptée par la haute direction du Pentagone, qui perçoit l’acquisition et le déploiement rapide de ces navires robotiques comme le moyen le plus sûr d’atteindre l’objectif de la Marine et du Président Trump, c’est-à-dire une flotte de 355 navires à une époque de possible gel du budget de la Défense, de pandémies récurrentes et de menaces étrangères croissantes. « Je pense que l’une des façons d’arriver rapidement [à 355 navires] consiste à se diriger vers des [appareils] à équipage restreint, qui avec le temps pourraient être sans pilote », a déclaré le secrétaire à la Défense Mark Esper en février. « Nous pouvons opter pour des navires à équipage restreint (…) Vous pouvez les construire de manière à ce qu’ils accueillent un équipage si nécessaire puis, selon le scénario ou la technologie, à un moment donné, ils peuvent être transformés en navires sans pilote (…) Cela nous permettrait d’augmenter nos objectifs rapidement, et je crois que nous pouvons atteindre 355 [navires], sinon plus, d’ici 2030. »
Pour mettre en œuvre un plan aussi audacieux, le Pentagone a demandé le même mois 938 millions de dollars pour les deux prochains exercices afin de se procurer trois prototypes de grands navires de surface sans pilote (LUSV, Large Unmanned Surface Vessels), et 56 millions de dollars pour le développement d’un navire de surface sans pilote de taille moyenne (MUSV, Medium-Sized Unmanned Surface Vessels). Si de tels efforts s’avèrent fructueux, la Navy souhaite 2,1 milliards de dollars supplémentaires entre 2023 et 2025 pour se procurer sept LUSV déployables et un prototype de MUSV.
Les responsables de la Navy n’ont cependant révélé que peu de choses sur la conception ou le fonctionnement ultime de ces robots de guerre. Tout ce qu’indique la demande de ce service pour son budget 2021, c’est que « le navire de surface sans pilote (USV) est un navire reconfigurable et multi-missions conçu pour fournir de [tels systèmes] à faible coût, de haute endurance et capables d’accueillir diverses charges utiles pour des missions sans pilote tout en complétant les forces humaines de la Marine. »
Grâce à la presse militaire spécialisée, le mieux que l’on puisse savoir sur ces futurs (et futuristes) navires, c’est qu’ils ressembleront à des destroyers miniatures, de probablement 60 mètres de long, sans équipage mais avec un large éventail de missiles guidés et d’armes anti-sous-marins. Ces navires seront également dotés de systèmes informatiques sophistiqués leur permettant de fonctionner de manière autonome pendant de longues périodes et – dans des circonstances qui restent à clarifier –, de prendre des mesures offensives de leur propre chef ou en coordination avec d’autres navires sans pilote.
Le futur déploiement de navires de guerre robotisés en haute mer soulève des questions troublantes. Par exemple, dans quelle mesure pourront-ils choisir eux-mêmes des cibles à attaquer et à détruire ? La Marine n’a pas encore fourni de réponse suffisante à cette question, suscitant l’inquiétude parmi les défenseurs du contrôle des armements et des droits de l’Homme, qui craignent que de tels navires puissent « s’autonomiser » et déclencher ou aggraver un conflit de leur propre chef. Et c’est évidemment un potentiel problème dans un monde de pandémies récurrentes où des robots tueurs pourraient devenir les seuls types de navires que la Navy ose déployer en grand nombre.
Combattre de loin
En ce qui concerne la perspective de pandémies récurrentes, les forces de combat au sol de l’Armée et du Corps des Marines sont confrontées à un dilemme comparable.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la stratégie militaire américaine a appelé les forces américaines à « se battre vers l’avant » – c’est-à-dire sur pou près du territoire ennemi plutôt qu’à proximité des États-Unis. Cette stratégie a engendré le maintien d’alliances militaires avec de nombreux pays à travers le monde afin que les forces américaines puissent être stationnées sur leur sol, ce qui a permis la construction de centaines de bases militaires américaines autour du globe. Par ailleurs, en temps de guerre, la stratégie américaine suppose que nombre de ces pays fourniront des troupes pour des opérations conjointes contre un ennemi commun. Pour combattre les Soviétiques en Europe, les États-Unis ont créé l’OTAN et ont acquis des garnisons dans toute l’Europe occidentale ; pour lutter contre le communisme en Asie, Washington a établi des liens militaires avec le Japon, la Corée du Sud, le Sud-Vietnam, les Philippines et d’autres puissances locales, y installant également de nombreuses bases.
Lorsque l’Afghanistan, l’Iran, l’Irak et le terrorisme islamique sont devenus des cibles majeures de ses opérations militaires, le Pentagone a noué des liens et construit des bases en Afghanistan, à Bahreïn, à Djibouti, en Irak, au Koweït, à Oman, en Arabie saoudite et aux Émirats Arabes Unis, entre autres.
Dans un monde sans pandémie, une telle stratégie offre de nombreux avantages à une puissance impériale. En temps de guerre, par exemple, il n’est pas nécessaire de transporter des troupes américaines – avec tout leur équipement lourd –, dans la zone de combat depuis des bases situées à des milliers de kilomètres. Or, dans un monde de pandémies récurrentes, une telle vision devient vite un cauchemar potentiellement insoutenable.
Pour commencer, il est presque impossible d’isoler des milliers de soldats américains et leurs familles des populations environnantes, et inversement. En conséquence, toute épidémie virale à l’extérieur des murs de la base est susceptible de se frayer un chemin à l’intérieur, et vice versa. En réalité, ce scénario s’est produit dans de nombreuses bases à l’étranger ce printemps. Le camp Humphreys en Corée du Sud, par exemple, a été confiné après que quatre personnes à la charge de l’Armée, quatre contractants américains et quatre employés sud-coréens ont été infectés par le Covid-19. Même scénario dans plusieurs bases au Japon et sur l’île d’Okinawa, lorsque des employés locaux ont contracté le virus. Plus récemment, des militaires américains dans cinq bases furent testés positif au Covid-19. Ajoutez à cela le Camp Lemonnier à Djibouti et la base aérienne Ahmed al-Jaber au Koweït, sans parler du fait qu’en Europe, quelque 2600 soldats américains ont été placés en quarantaine après avoir été soupçonnés d’exposition au Covid-19. Et si l’armée américaine s’inquiète de tout cela dans d’autres pays, imaginez-vous ce que ressentent nos alliés alors que l’Amérique de Donald Trump est devenue l’épicentre de la pandémie mondiale de coronavirus.
Un monde de pandémies récurrentes rendra presque impossible, pour les forces américaines, de travailler côte à côte avec leurs homologues étrangers, en particulier dans les pays les plus pauvres qui ne disposent pas de systèmes de santé adéquats. C’est déjà une réalité en Irak et en Afghanistan, où le coronavirus se serait largement répandu parmi les forces alliées locales, à tel point que les soldats américains ont reçu l’ordre de suspendre les missions d’entraînement conjointes.
Un retour au monde pré-Covid-19 semble de plus en plus improbable, de sorte que la recherche est maintenant orientée à grands pas vers une nouvelle stratégie de référence pour les opérations de combat de l’Armée et de la Marine dans les années à venir. Comme pour la Navy, ce changement a en fait commencé avant l’épidémie de coronavirus, mais il a acquis une nouvelle urgence du fait de cette épidémie.
Pour isoler les opérations au sol des dangers d’une pandémie, les deux services explorent un modèle similaire : au lieu de déployer de grands contingents de troupes lourdement armées près des frontières ennemies, ils espèrent stationner de petites forces très mobiles sur les îles contrôlées par les États-Unis, ou dans d’autres zones raisonnablement éloignés. De là, ils pourraient tirer des missiles balistiques à longue portée sur des cibles ennemies vitales, et ce avec une relative impunité. Pour réduire davantage le risque de maladies ou de blessures, ces forces seront progressivement soutenues sur les lignes de front par des systèmes « sans pilote », y compris des « robots tueurs » conçus pour remplir les fonctions de soldats ordinaires.
La version du Corps des Marines de ce futur modèle de combat a été énoncée pour la première fois dans le Force Design 2030, un document publié par le commandant du Corps général David Berger durant le mois pandémique de mars 2020. Affirmant que la structure existante des Marines était inadaptée au monde de demain, il a appelé à une restructuration radicale de cette force afin d’éliminer les armes lourdes conduites par des humains, telles que les chars. Pour les remplacer, il préconise d’augmenter la mobilité et la puissance de feu à longue portée avec une variété de missiles, ce qui entrainera selon lui une prolifération de systèmes sans pilote. « En partant du principe que nous ne recevrons pas de ressources supplémentaires », a-t-il écrit, « nous devons céder certaines capacités et moyens existants pour libérer des ressources [afin de développer] de nouvelles capacités essentielles ». Parmi ces « nouvelles capacités » qu’il considère comme cruciales, il inclut des systèmes aériens sans pilote supplémentaires, ou drones, qui « peuvent opérer depuis un navire, depuis la côte, et [être] en mesure d’utiliser à la fois la collecte [de renseignements] et des armes mortelles ».
Dans sa propre planification de long terme, l’Armée s’appuie encore plus sur la création d’une force de robots, ou du moins de systèmes dont l’équipage humaine est « optionnel ». Anticipant un avenir fait d’adversaires lourdement armés engageant les forces américaines dans des guerres de haute intensité, elle cherche à réduire l’exposition des troupes aux tirs ennemis en concevant tous les futurs systèmes de combat – y compris les chars, les transporteurs de troupes et les hélicoptères –, pour être soit conduits par des humains, soit auto-dirigés par des robots selon les circonstances. Par exemple, l’engin d’assaut d’infanterie de nouvelle génération de l’armée a été surnommé « véhicule de combat habité en option » (OMFV, Optionally Manned Fighting Vehicle). Comme son nom l’indique, il est destiné à fonctionner avec ou sans opérateurs humains embarqués. L’armée achète également un véhicule utilitaire robotique, le Squad Multipurpose Equipment Transport (SMET), destiné à transporter plus de 400 kg de fournitures et de munitions. Regardant plus loin vers l’avenir, ce service a également commencé le développement d’un véhicule de combat robotique (RCV, Robotic Combat Vehicle) et d’un char autonome.
L’armée accélère également le développement de systèmes d’artillerie et de missiles à longue portée. Ces armes rendront les attaques contre les positions ennemies situées bien en arrière des lignes de front encore plus centrales pour toute future bataille d’ampleur. Ces armements incluent le canon d’artillerie à portée étendue – un obusier blindé Paladin avec un canon extra-long et un propulseur suralimenté qui devrait pouvoir atteindre des cibles à plus de 60 km –, et le missile de frappe de précision encore plus avancé (PrSM), qui est une ogive balistique de surface d’une portée de près de 500 km.
En fait, de nombreux analystes estiment que le PrSM sera capable de frapper à des distances bien plus étendues, mettant en danger des cibles ennemies critiques – bases aériennes, radars, centres de commandement –, depuis les sites de lancement situés loin derrière les forces américaines. En cas de guerre avec la Chine, cela pourrait conduire l’Armée à tirer des missiles depuis des pays amis tels que le Japon, ou depuis des îles du Pacifique contrôlées par les États-Unis, telles que Guam. Cette option a alarmé les partisans de l’Air Force, qui craignent que l’Armée n’usurpe les missions de frappes à longue portée traditionnellement assignées aux avions de combat.
Une véritable refonte stratégique
Tous ces plans et programmes sont promus pour permettre à l’armée américaine de continuer à s’acquitter de ses missions traditionnelles de projection de puissance et de combat dans un monde radicalement bouleversé. De ce point de vue, des mesures telles que le retrait des marins des navires de guerre bondés, la réduction des effectifs des garnisons américaines dans des terres lointaines, et le remplacement des combattants humains par des robots peuvent sembler judicieux. Mais d’un point de vue plus global, qui prendrait en compte tous les aspects de la sécurité et du bien-être du peuple américain, ils semblent être totalement à côté de la plaque.
Si les scientifiques ont raison et que le coronavirus persistera pendant une longue période et, dans les décennies à venir, serait suivi d’autres pandémies d’une ampleur égale ou supérieure, les véritables menaces futures pour la sécurité américaine pourraient être microbiologiques et économiques, pas militaires. Après tout, la pandémie actuelle a déjà tué plus d’Américains que les guerres de Corée et du Vietnam combinées, tout en déclenchant le pire ralentissement économique depuis la Grande Dépression. Imaginez donc ce qu’une pandémie plus meurtrière pourrait engendrer. Nos forces armées peuvent encore jouer un rôle important dans un tel environnement, par exemple en fournissant une assistance médicale d’urgence et en protégeant les infrastructures vitales. Or, les guerres sans fin dans des contrées lointaines et la projection de puissance à l’échelle mondiale ne devraient pas être des priorités en ces temps difficiles, vu comment l’argent du contribuable est dépensé pour sa « sécurité » durant cette pandémie.
Une tendance est incontournable : comme l’indique la catastrophe à bord du Theodore Roosevelt, le Pentagone doit reconsidérer la façon dont elle arme et structure ses forces et réfléchir sérieusement à des modèles d’organisation alternatifs. Or, le fait de concentrer d’énormes ressources sur le remplacement des navires et des chars pré-Covid par des robots tueurs post-Covid – le tout afin de multiplier les guerres interminables à l’étranger –, n’est pas dans l’intérêt ultime des États-Unis, du moins en termes de sécurité. Hélas, dans le contexte de notre monde en pleine mutation, il y a quelque chose de très robotique dans une telle pensée militaire.
Texte original par Michael T. Klare (TomDispatch.com, 19 juillet 2020)
Traduction exclusive par Deep-News.media