Le cabinet Trump souhaite aider le Liban ? Qu’il abandonne la Loi César

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En juin dernier, la presse internationale soulignait que la mise en oeuvre, par l’administration Trump, de la Loi César contre l’État syrien et ses soutiens aurait un impact dévastateur pour le Liban. Or, dans le sillage de la tragédie que vient de subir Beyrouth, le secrétaire d’État Mike Pompeo a déclaré que Washington était prêt à aider le Pays du Cèdre. Néanmoins, sachant que les États-Unis considèrent le Hezbollah comme une organisation terroriste, il est peu probable qu’ils abandonnent leur guerre économique au Levant. Hélas, que l’on soit pour ou contre le « Parti de Dieu » et le gouvernement Assad, de telles politiques affectent surtout les populations civiles. Cet article défendra donc la nécessité, dans le contexte délétère que subissent les Syriens et les Libanais, d’annuler ces sanctions qui encouragent la misère, la souffrance et l’instabilité sans atteindre d’objectifs politiques majeurs.

 

Peu après le drame qui a frappé la ville de Beyrouth, le secrétaire d’État Mike Pompeo a osé souligner l’« engagement inébranlable [des États-Unis] à aider le peuple libanais à faire face aux conséquences de cet événement terrifiant », vantant la « solidarité et [le] soutien [de Washington] en faveur du peuple libanais alors qu’il lutte pour la dignité, la prospérité et la sécurité qu’il mérite ». De telles affirmations sont pour le moins audacieuses puisque, comme de nombreux experts l’ont anticipé, la mise en oeuvre de la Loi César en juin dernier risque d’avoir des conséquences désastreuses pour le Liban. Visant officiellement l’État syrien et ses soutiens, cette législation pourrait en fait frapper durement les populations du Levant, sachant que tous les secteurs économiques de la Syrie sous le contrôle du gouvernement local sont visés – comme nous l’avions expliqué dans nos colonnes. Et les interdépendances informelles entre le Liban et la Syrie rendent ces deux nations vulnérables aux politiques de sanctions, de même qu’aux répercussions économiques et sociales de la guerre qui a ravagé la Syrie à partir de 2011. 

 

En réalité, la Loi César a eu un impact sur l’économie libanaise avant même sa mise en oeuvre. Comme l’avait souligné AlArabiya.net le 12 juin dernier, « certains analystes ont lié l’accélération soudaine de la dévaluation de la monnaie libanaise sur le marché noir ces derniers jours à des inquiétudes concernant la mise en œuvre prochaine de la Loi César, alors que les Syriens inquiets d’une pression imminente sur les devises étrangères achetaient des dollars au Liban. » Rappelons en effet que, selon des chiffres de 2017, « 65% des dépôts au Liban sont en dollars américains et 72% des prêts sont libellés [en cette monnaie]. Par conséquent, les banques libanaises ont besoin de banques correspondantes aux États-Unis pour compenser leurs transactions en dollars américains. »

 

Or, en mai dernier, l’on constatait une pénurie croissante de dollars dans les systèmes financiers libanais et syriens, alors que les deux monnaies de ces pays s’effondraient conjointement. Ce processus est dû au fait que « la demande de dollars américains en Syrie et au Liban a fortement augmenté alors que les gens cherchaient à accumuler des [dollars américains] à l’approche de la date limite pour l’entrée en vigueur des sanctions de la Loi César, a déclaré [le chercheur Joseph] Nader. La ruée vers le dollar américain a vu la valeur des devises syrienne et libanaise plonger fortement sur les marchés parallèles ces dernières semaines. » L’on peut donc imaginer le pire pour les populations qui subissent ce nouveau train de sanctions, y compris la famine, la multiplication des coupures d’électricité, ou l’instabilité politique exacerbée. 

 

L’explosion récente au port de Beyrouth va profondément affecter le peuple libanais, sachant qu’un silo à grain d’une capacité de 120 000 tonnes a explosé et que la destruction de cette zone portuaire fait d’ores et déjà craindre de nombreuses pénuries – le tout dans un contexte de dépression économique. Elle va également impacter les millions de Syriens vivant en zone loyaliste, puisque les installations portuaires libanaises sont « devenues nécessaires pour contourner les sanctions [des États-Unis et de l’Union européenne] et acheminer des produits en Syrie. Selon [Joseph] Daher, les entreprises syriennes importent un bien au Liban, celui-ci étant répertorié comme sa destination finale. Cependant, après son arrivée, il est ensuite transporté en Syrie. “Ils prennent un autre bateau grâce à un nouveau contrat”, selon Daher. “[Ils] achètent [le produit] au Liban, ou une autre agence achète ce bien, et ils le transfèrent en Syrie, également par bateau, à Lattaquié ou à Tartous [, qui sont des villes portuaires]. Cela peut également se faire par voie terrestre, que ce soit par la contrebande ou officiellement. » Or, dans le but d’obtenir l’aval de Washington pour un prêt de 10 milliards de dollars abondés par le FMI, il est probable que le gouvernement libanais soit contraint par les États-Unis de fermer ses frontières avec la Syrie, ce qui serait désastreux pour la population de ces deux pays.

 

Ironiquement, un officiel du Département d’État a récemment fait valoir que les États-Unis restaient un « partenaire inébranlable du peuple libanais, et avaient contribué à hauteur de 750 millions de dollars au développement économique, à l’aide humanitaire et à l’assistance sécuritaire [en faveur du Pays du Cèdre] rien qu’en 2019. » En clair, comme le répètent les hauts responsables de l’administration Trump, les sanctions contre le Liban ne sont censées viser que le Hezbollah, tout comme la Loi César affecterait uniquement le clan Assad et ses soutiens étrangers. Or, comme l’avait souligné un expert libanais dès 2017, les répercussions des sanctions américaines au Liban pesaient déjà lourdement sur le système financier local. Concernant la Syrie et les pays qui l’entourent, le chercheur Kamal Alam a récemment écrit que « la Loi César est le plus vaste programme de sanctions de l’Histoire, et elle aura un impact économique dévastateur sur la Syrie et ses voisins, en particulier le Liban ».

 

Hélas, les stratèges de Washington semblent incapables de comprendre qu’Assad se maintiendra au pouvoir et tentera de contourner les sanctions de la Loi César grâce à ses puissants soutiens, dont la Russie et la Chine. Et bien que le Hezbollah soit en difficulté dans le contexte actuel, il reste très influent sur la scène politique intérieure libanaise. Ses détracteurs, tels que le politologue Antoine Basbous, estiment que la situation de crise économique majeure que traverse le Pays du Cèdre a renforcé cette organisation. Hélas, il est peu probable que l’administration Trump renonce à ces politiques de sanctions, en ignorant totalement l’impact de ces mesures sur les populations du Levant. Comme l’avait observé notre confrère Philippe Grasset, les deux principales caractéristiques psychologiques des architectes de la politique étrangère américaine sont l’inculpabilité et l’indéfectibilité, soit respectivement l’impossibilité de se sentir coupable et de s’admettre vaincu. En imposant des sanctions qui frappent aussi durement les populations des pays visés, et en refusant d’admettre l’échec de sa vaste guerre secrète pour renverser Assad, le gouvernement des États-Unis le démontre une nouvelle fois.

 

Maxime Chaix

 

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