Comment le Renseignement britannique forme les maîtres-espions des dictatures alliées

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À Deep-News.media, nous avons comme objectif de traiter des sujets les plus sensibles, en particulier s’ils sont occultés par les médias occidentaux. Parmi eux, nous vous relayons notre traduction d’un important article qui a été totalement ignoré dans la presse occidentale. Or, cette enquête détaille comment les services secrets britanniques forment les futurs maîtres-espions de certains des régimes les plus répressifs au monde. En d’autres termes, alors que les dirigeants du Royaume-Uni ne cessent de critiquer les despotes qui leur déplaisent, ils mènent de discrets efforts pour renforcer les dictatures plus favorables aux intérêts de Londres et de ses alliés. 

 

« EXCLUSIF : le MI5 et le MI6 forment des maîtres-espions d’Arabie, des Émirats ou d’Égypte »

 

Texte original par Phil Miller and Matt Kennard (Declassified UK, 27 juillet 2020)

 

Traduction exclusive par Maxime Chaix

 

Des hauts fonctionnaires du service de sécurité intérieure britannique, le MI5, et son agence d’espionnage externe, le MI6, ont dispensé une formation à des responsables du renseignement d’une multitude de régimes répressifs au cours de ces deux dernières années, selon des documents obtenus par Declassified UK.

 

En 2019, des espions de haut niveau représentant des régimes tels que l’Arabie saoudite, les Émirats Arabes Unis, l’Égypte, la Jordanie, Oman, le Cameroun et l’Algérie ont suivi une formation de 11 jours appelée le « Cour International des Directeurs du Renseignement ».

 

Des officiers de haut rang travaillant pour des agences de sécurité notoirement brutales au Pakistan, au Sri Lanka, en Inde, au Bangladesh, en Afghanistan et au Nigéria étaient également présents.

 

Des responsables de nombre de ces pays ont suivi le même parcours en 2018, avec l’ajout du Vietnam, que la BBC décrit comme un « État communiste à parti unique ».

 

Declassified UK a également consulté des preuves que cette formation proposée par le MI5 et le MI6 a été récemment offerte à des « officiers militaires » représentant la junte birmane. On ne sait pas si cette offre a été acceptée.

 

Le cours est organisé par le Joint Intelligence Training Group (JITG) de l’armée britannique à Chicksands, une base de renseignement située dans le Bedfordshire, au nord de Londres.

 

Le Ministère de la Défense (MOD) a refusé à plusieurs reprises de répondre aux questions de Declassified  UK sur cette formation.

 

« Une stratégie britannique défaillante »

 

Cette révélation intervient après que le gouvernement britannique a imposé des sanctions à sept espions saoudiens, dont l’ancien chef adjoint des services de renseignement saoudiens, Ahmad Asiri, pour leurs rôles présumés dans le meurtre du journaliste Jamal Khashoggi en 2018.

 

Les services saoudiens auraient également reçu l’ordre de pirater les messageries courriel de journalistes du Guardian enquêtant sur le royaume des Saoud. Des hauts responsables issus d’Arabie saoudite ont suivi le cours du JITG en 2018 et en 2019.

 

Une autre monarchie répressive du Golfe, les Émirats Arabes Unis, figurait également parmi les 26 pays qui ont reçu une formation du MI5 et du MI6 cette année-là.

 

Ce cours a eu lieu quelques mois après que l’universitaire britannique Matthew Hedges eut été libéré de prison aux Émirats, où des responsables des services secrets locaux l’avaient soumis à des tortures psychologiques et à des menaces physiques répétées.

 

Hedges, qui a été faussement accusé d’être un officier du MI6 et détenu pendant près de sept mois aux Émirats, nous a déclaré que cette révélation était « irritante » ; il exigea donc de savoir pour quelles raisons les futurs maîtres-espions émiratis étaient autorisés à suivre ce cours.

 

Selon Hedges, « le Royaume-Uni utilise depuis longtemps son establishment de sécurité pour nouer des liens afin de faire avancer ses intérêts. Des expériences comme la mienne, où la torture a été mise en évidence et le Royaume-Uni fut directement impliqué dans ma détention, indiquent une stratégie contradictoire et défaillante de Londres pour tisser des relations dans les domaines sécuritaires. »

 

Il a ajouté : « Le Royaume-Uni peut-il garantir que les Émirats ne deviendront pas un adversaire actif dans un proche avenir et, si tel n’est pas le cas, pourquoi les forment-ils au renseignement ? »

 

Parmi les autres cibles des responsables des services émiratis l’année précédant le cours du JITG figurait le défenseur des droits de l’Homme Ahmed Mansoor. En 2018, il a été condamné à 10 ans de prison après qu’on lui a nié sa liberté d’expression, et que son gouvernement a utilisé son vaste appareil de surveillance pour pirater son téléphone.

 

Égypte et Pakistan

 

La révélation montrant que les services britanniques ont aussi formé des agents secrets du régime égyptien au cours des deux dernières années pourrait déplaire à certains alliés européens du Royaume-Uni.

 

Giulio Regeni, un étudiant italien torturé et assassiné au Caire, a été pris au piège dans une « toile d’araignée » tissée par les services de sécurité égyptiens dans les semaines qui ont précédé sa mort en 2016, selon les procureurs italiens.

 

Selon Human Rights Watch, l’Agence égyptienne de sécurité nationale a « arrêté arbitrairement, maltraité et torturé des centaines d’enfants ». Ce groupe de défense des droits de l’Homme a également publié des preuves photographiques montrant un soldat égyptien du Renseignement militaire dirigeant une exécution, sur le champ de bataille, d’un suspect terroriste dans le Sinaï.

 

Bien que la formation militaire des régimes répressifs par le Royaume-Uni ait été bien documentée, c’est la première fois qu’il est démontré que des agents du Renseignement britannique forment de nombreuses agences de sécurité impliquées dans la torture, le terrorisme et les assassinats. 

 

Le Renseignement inter-services du Pakistan (ISI) est depuis longtemps accusé de collusion avec des groupes terroristes islamistes dans des pays voisins tels que l’Afghanistan et l’Inde. Il existe aussi des allégations selon lesquelles l’ISI aurait soutenu les attaques terroristes de 2008 à Bombay, qui ont tué plus de 160 personnes.

 

« Une opportunité significative »

 

Le MOD avait précédemment refusé de divulguer des détails sur les cours du JITG à Chicksands, affirmant que la transparence pourrait nuire à la sécurité nationale et compromettre les capacités de renseignement.

 

Or, Declassified UK a consulté une brochure promotionnelle de l’armée britannique datant de l’année dernière, et a obtenu séparément une liste des pays qui y ont participé.

 

Les places sur ce parcours semblent être exclusives. Il y a un maximum d’un seul étudiant par pays, et il ne se déroule qu’une fois par an. « Les soumissions sont sollicitées, mais les places ne sont proposées qu’après [une] réunion d’attribution », note l’armée dans sa brochure. Ce cours, qui existe depuis au moins 2004, s’adresse aux « officiers supérieurs » étrangers ayant au moins le grade de colonel, et qui « servent ou qui sont sur le point de servir dans des postes de haut niveau du renseignement ».

 

Bien que le MOD ait refusé de nommer les participants, l’on sait que ce cours est enseigné par un éventail de personnel britannique de haut rang, y compris des « hauts fonctionnaires » du MI5 et du MI6, et comporte des conférences du chef de la Defence Intelligence (DI) et de son adjoint.

 

Les six modules du cours concernent « la politique de sécurité », les « défis du partage du renseignement » et « le rôle des médias ». Il n’y a pas de presse libre dans de nombreux pays dont les fonctionnaires ont suivi cette formation, et l’on ne sait donc pas en quoi consiste ce module sur les questions médiatiques.

 

Ce cours vise également à « discuter et analyser la conduite et la gestion du renseignement », ainsi qu’à « forger des relations personnelles et professionnelles ». Autrefois, le MOD s’est vanté que cette formation « [offrait] une opportunité significative pour la diplomatie du renseignement aux échelons les plus élevés », et « continue de susciter un intérêt de haut niveau sur tous les continents ».

 

Un vétéran du corps de renseignement de l’armée britannique a déclaré à Declassified UK que ce cours en faveur des régimes répressifs à Chicksands « était dispensé depuis de nombreuses années ». Il s’est donc demandé : « Pourquoi devrions-nous nous engager avec des gens de ces gouvernements qui ne sont pas vraiment sympathiques ? »

 

Ce vétéran, qui voulait préserver son anonymat, a ajouté : « Nous imaginons depuis longtemps qu’en formant ces personnes, nous pouvons les influencer et les éduquer aux valeurs britanniques, dans l’espoir que celles-ci soient ensuite mises en œuvre dans leur propre pays, leurs propres forces armées. Mais d’après mon expérience, il n’y a pas beaucoup de signes que ce soit le cas. » 

 

Texte original par Phil Miller and Matt Kennard 

 

Traduction exclusive par Maxime Chaix

 

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One Response to “ Comment le Renseignement britannique forme les maîtres-espions des dictatures alliées ”

  1. A force de vous lire, on désespère parfois de ce monde, mais il n’est pas bien loin du monde ancien, il en a hélas toujours été ainsi, mais par contre on se se lasse pas de vos vrais informations qui font du bien. merci

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