À Deep-News.media, nous effectuons un travail de veille constante afin d’identifier des informations cruciales qui n’auraient pas été reprises dans la presse francophone. C’est le cas d’un article récent que nous allons commenter, et qui révèle qu’un juge américain a ordonné les témoignages de 24 hauts responsables saoudiens sur la question du 11-Septembre. En effet, le royaume est accusé d’avoir soutenu deux des futurs pirates de l’air présumés lors de leur séjour aux États-Unis. Comme nous allons l’expliquer, ce procès pourrait aboutir au dévoilement d’une opération sensible de recrutement de taupes par la CIA et les services saoudiens, en plus de fragiliser davantage les relations entre Washington et Riyad. Décryptage.
Derrière deux des pirates de l’air du 11-Septembre, le rôle clé du prince Bandar
Dans notre précédent article, nous avons démontré que la version officielle du 11-Septembre est « presque entièrement fausse », d’après les principaux membres de la commission d’enquête chargée de l’établir. Or, dans cette analyse, nous n’avons pas pris le temps de souligner une autre incohérence majeure du rapport final de cette Commission d’enquête sur le 11-Septembre. En effet, dans ce document censé établir la version sur ces attentats, ses auteurs ont réfuté tout appui saoudien en faveur des pirates de l’air et, plus généralement, de la nébuleuse djihadiste globale.
Comme l’avait souligné la BBC après la publication de ce rapport final, en juin 2004, « l’enquête américaine sur les attentats du 11-Septembre indique qu’elle n’a trouvé aucune preuve que le gouvernement saoudien ait financé al-Qaïda », ce qui est une farce pour quiconque s’intéresse de près à cette question. La BBC ajouta que ce rapport « innocente également l’épouse de l'[ambassadeur] saoudien aux États-Unis, qui aurait donné de l’argent aux pirates de l’air du 11-Septembre. » En effet, « la femme du prince Bandar ben Sultan – ambassadeur de longue date de l’Arabie à Washington [et proche de la famille Bush] –, a été accusée d’avoir fait des dons d’une valeur de 130 000 dollars aux épouses de deux amis des pirates de l’air à San Diego. Mais le rapport de la commission indique qu’il n’y a aucune preuve que les deux hommes, Osama Basnan et l’autre Saoudien, Omar al-Bayoumi, aient financé les pirates de l’air Khaled al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi. » Au contraire, nous allons voir que ces derniers ont bel et bien reçu cette aide financière de la part de l’ambassade d’Arabie saoudite à Washington, et que l’on connait le nom de celui qui était leur principal agent traitant saoudien aux États-Unis.
Tout d’abord, rappelons que 28 pages d’un rapport d’enquête du Congrès publié en décembre 2002 ont longtemps été tenues secrètes par les administrations Bush et Obama. Traitant du rôle présumé de l’Arabie saoudite dans le soutien de certains pirates de l’air du 11-Septembre, cette section fut déclassifiée en juillet 2016, sous la pression de plusieurs familles de victimes et de membres du Congrès. Pour synthétiser les révélations de ces 28 pages, citons le New York Post : « Les Saoudiens nient tout rôle dans le 11-Septembre. Mais la CIA, dans un mémo, aurait trouvé des “preuves incontestables” que des responsables du gouvernement saoudien – pas seulement de riches extrémistes, mais des diplomates de haut niveau et des agents du renseignement employés par le royaume –, ont aidé les pirates de l’air [Khaled al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi] à la fois financièrement et logistiquement. Les dossiers de renseignement cités dans le rapport impliquent directement dans ces attentats l’ambassade saoudienne à Washington [dirigée par Bandar] et le consulat à Los Angeles, faisant du 11-Septembre non seulement un acte de terrorisme, mais un acte de guerre. »
La CIA, Bandar et al-Qaïda : un recrutement de taupes aurait mal tourné
Si ce résumé du New York Post nous semble pertinent, nous restons sceptiques sur cette notion d’« acte de guerre ». En effet, dans nos colonnes, nous avons interrogé un ex-agent spécial du FBI directement impliqué dans la surveillance des futurs pirates de l’air al-Mihdhar et al-Hazmi. Comme il nous l’avait expliqué, il a « la certitude absolue » que la CIA tentait « de recruter ces terroristes présumés en tant qu’informateurs, et ce par le biais des services secrets extérieurs de l’Arabie saoudite. » Illégale sur le territoire des États-Unis, cette opération conjointe de la CIA et du GIP saoudien aurait empêché notre source de mettre sous surveillance ces deux futurs pirates de l’air, qui étaient arrivés en janvier 2000 aux États-Unis.
D’après cet ex-agent spécial du FBI, ces obstructions continuelles de la part de la CIA auraient donc rendu possible le 11-Septembre, comme l’auteur de ces lignes l’avait déjà souligné dans Paris Match au printemps 2016. Précisons-le clairement : si cette opération n’est pas encore prouvée, elle n’a jamais été démentie par la CIA, alors que notre source l’a exposée dans d’innombrables médias grand public occidentaux. Essentiellement, cette explication est partagée par d’autres anciens hauts responsables au sein du cabinet Bush, dont Richard Clarke, qui était alors le coordinateur national du contreterrorisme à la Maison-Blanche. D’après lui, une cinquantaine de hauts fonctionnaires de haut rang au sein de la CIA seraient au courant de cette opération autour des deux pirates de l’air, et continueraient de la dissimuler.
Le 13 mai dernier, notre confrère Michael Isikoff révéla l’identité d’un agent des services secrets saoudiens suspecté d’avoir coordonné le soutien en faveur d’al-Mihdhar et d’al-Hazmi. Dans son article publié par Yahoo.com, il expliqua que « le FBI a révélé par inadvertance l’un des secrets les plus sensibles du gouvernement américain à propos des attentats du 11-Septembre : l’identité d’un mystérieux responsable de l’ambassade saoudienne à Washington, soupçonné par des agents [américains] d’avoir fourni un soutien crucial à deux des pirates de l’air d’al-Qaïda. Cette divulgation se base sur la déposition, devant un tribunal fédéral, d’un haut responsable du FBI, en réponse à des poursuites intentées par des familles de victimes du 11-Septembre qui accusent le gouvernement saoudien de complicité dans ces attentats. »
Ambassadeur d’Arabie saoudite à Washington à l’époque du 11-Septembre, le prince Bandar est suspecté d’avoir supervisé l’opération de soutien des deux futurs pirates de l’air de Ben Laden, comme l’a expliqué Michael Isikoff dans son article de mai dernier. En effet, l’homme accusé d’avoir soutenu ces deux terroristes s’appelle « Mussaed Ahmed al-Jarrah, un fonctionnaire de niveau intermédiaire au sein de (…) l’ambassade saoudienne à Washington en 1999 et 2000. (…) On sait relativement peu de choses sur cet individu mais, selon d’anciens employés de la représentation diplomatique saoudienne à Washington, il agissait pour le compte de l’ambassadeur (…) Bandar. » Notoirement proche de la famille Bush, ce dernier est aussi connu pour avoir été un important soutien de la nébuleuse djihadiste globale, à la fois dans le financement d’opérations d’al-Qaïda ou de la montée en puissance de Daech plus récemment.
Bandar a financé des opérations sensible de la CIA via une banque à Washington
En 2004, les politiques de soutien occulte de Bandar en faveur de l’organisation de Ben Laden lui auraient coûté sa place d’ambassadeur à Washington l’année suivante – un poste qu’il occupait depuis 1983. Dix ans plus tard, sous la pression de l’administration Obama, il fut exclu de la tête des services spéciaux saoudiens – qu’il dirigeait depuis juillet 2012 –, du fait de son appui notoire en faveur des groupes djihadistes anti-Assad, y compris de Daech. Dans le premier cas, son canal de soutien financier en faveur de l’organisation de Ben Laden est bien identifié, comme l’a expliqué le New York Post : « D’autres financements d’al-Qaïda remontaient à Bandar et à son ambassade. À tel point qu’en 2004, la Riggs Bank de Washington avait abandonné les Saoudiens en tant que clients. L’année suivante, alors qu’un certain nombre d’employés de l’ambassade sont apparus dans des enquêtes terroristes, Riyad a rappelé Bandar. “Nos investigations ont contribué au départ de l’ambassadeur”, m’a affirmé un enquêteur qui a travaillé au sein du Groupe de travail conjoint sur le terrorisme à Washington, bien que Bandar eut expliqué avoir quitté son poste pour “des raisons personnelles” ».
C’est donc via la prestigieuse mais sulfureuse Riggs Bank, qui est basée à Washington, que Bandar a financé certaines activités d’al-Qaïda, et notamment le soutien de deux des futurs pirates de l’air du 11-Septembre. Or cette banque, qui fut rachetée en mai 2005, lui a également servi à financer des opérations sensibles pour le compte de la CIA. Comme l’a rapporté le Guardian en 2006, le prince Bandar menaça le cabinet Blair de « faciliter les attentats à Londres (…) en interrompant les flux de renseignements [saoudiens] sur les terroristes et les kamikazes ». En réponse, Tony Blair décida d’abandonner l’enquête du Serious Fraud Office sur le sulfureux contrat d’armement Al-Yamamah, qui aurait amené BAE Systems à verser illégalement jusqu’à un milliard de livres sterling à Bandar. Selon l’expert Peter Dale Scott, « les surfacturations [de ces équipements militaires] furent absorbées dans une importante caisse noire, qui était utilisée pour distribuer des pots-de-vin (…) – incluant “des centaines de millions de livres versées au prince Bandar, [alors] ambassadeur saoudien aux États-Unis”. Tout cet argent transita par un compte de l’ambassade d’Arabie saoudite à la Riggs Bank, située à Washington. » Or, comme l’a souligné Jake Shafer, cette banque était intimement liée aux opérations les plus sensibles de la CIA, dont celles que Bandar avait financées pour le compte de Washington.
Le 31 janvier 2004, le Wall Street Journal publia un article « sur l’enquête du Département de la Justice concernant le blanchiment d’argent présumé à la Riggs Bank, dont le siège est à Washington. Des révélations antérieures avaient relié la Riggs Bank aux machinations financières douteuses de diplomates saoudiens et de despotes d’Afrique et d’Amérique du Sud – y compris l’ancien maître du Chili, le général Augusto Pinochet. Les régulateurs bancaires ont condamné la Riggs Bank à une amende de 25 millions de dollars l’année dernière pour ses violations, puis l’institution s’est mise en vente et une enquête du Département de la Justice a été ouverte. L’article [du Wall Street Journal] du 31 décembre (…) identifie ce qui pourrait être le dénominateur commun partagé par la Riggs Bank, les Saoudiens, les Africains et les Sud-Américains : la Central Intelligence Agency. »
Plus précisément, selon différentes sources gouvernementales aux États-Unis, la Riggs Bank « a entretenu une “relation” avec la CIA depuis un certain temps. » À l’époque, cette coopération était jugée « problématique », sachant qu’elle rendait impossible toute enquête concluante au vu des liens étroits de cette banque avec la CIA et ses proches alliés, dont « l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet et le prince Bandar ben Sultan, l’ambassadeur saoudien à Washington. (…) Début 2003, [ce dernier] informa le secrétaire au Trésor John Snow du travail qu’il avait effectué pour le compte de la CIA (…) Les crédits parapolitiques sur son curriculum vitae incluent le financement des Contras à la demande de la Maison-Blanche, le soutien aux [djihadistes] afghans contre l’Union soviétique [aux côtés de la CIA et des services pakistanais], et le rôle d’intermédiaire dans le rétablissement de la relation Libye-États-Unis. »
Publié en 2005, cet article de Slate.com ne mentionne pas le fait que Bandar et sa femme avaient aussi utilisé la Riggs Bank pour transférer de l’argent à deux des futurs pirates de l’air du 11-Septembre – et ce dans le cadre d’une vraisemblable opération conjointe des services saoudiens et de la CIA, selon Richard Clarke et Mark Rossini. En mai, ce dernier nous a déclaré « sans équivoque que la royauté saoudienne n’[aurait] jamais souhaité, planifié ou favorisé la survenance de ces attentats. En réalité, un plan de la CIA et de ses alliés saoudiens visant à surveiller, et éventuellement à recruter comme informateurs les futurs pirates de l’air Khaled al-Mihdhar et Nawaf al-Hazmi a échoué de façon désastreuse. Cet échec a directement conduit aux attaques du 11-Septembre. » Nous renvoyons nos lecteurs à notre article consacré à ce sujet pour mieux saisir les implications d’une telle opération, sachant que l’ex-agent spécial du FBI qui la dénonce était au coeur de ce dossier dès janvier 2000 – alors qu’il était détaché à la CIA pour surveiller les membres d’al-Qaïda aux États-Unis. Et comme nous allons le constater, il se pourrait que cette opération finisse par être éventée.
Une opération hautement sensible qui pourrait être rendue publique
Selon des nouvelles révélations de Michael Isikoff, « un juge fédéral a ordonné au gouvernement saoudien de rendre disponibles pour des dépositions jusqu’à 24 fonctionnaires en fonction ou à la retraite, et ce dans le but d’éclaircir leur possible préconnaissance des événements ayant conduit aux attaques aériennes du 11 septembre 2001, qui ont tué près de 3 000 Américains. Ces responsables comprennent le prince Bandar, l’ancien ambassadeur aux États-Unis, et son chef de cabinet de longue date. » Toujours selon notre confrère Isikoff, « “cette décision change totalement la donne”, a déclaré Brett Eagleson, dont le père a été tué dans les attaques contre les tours du World Trade Center (…) “C’est la décision la plus importante que nous ayons eue à ce jour dans ce procès. Et en prendre connaissance à la veille de l’anniversaire du 11-Septembre, on ne pouvait pas imaginer mieux ! Les familles sont ravies. »
Logiquement, tout refus saoudien de rendre disponible leurs anciens et actuels hauts responsables pourrait sérieusement dégrader les relations avec les États-Unis, qui ne sont pas au beau fixe depuis octobre 2018 et l’assassinat de Jamal Khashoggi. Or, comme l’a rappelé Isikoff, « cette question est particulièrement lourde pour Bandar, un membre de la famille royale qui a entretenu pendant des années des relations étroites avec de hauts responsables du gouvernement américain. Cette proximité lui a valu le surnom de “Bandar Bush”, en raison de ses liens avec la famille du même nom. Et sa propre fille, la princesse Reema bint Bandar, est l’actuel ambassadeur saoudien à Washington. “S’il choisit de faire un pied de nez à un tribunal américain, vous feriez mieux de croire qu’il y aura de fortes retombées politiques”, a déclaré Eagleson. » À l’aune des éléments que nous venons de rappeler à travers cet article, la CIA pourrait devoir redoubler d’efforts pour que son possible rôle dans l’opération de recrutement d’al-Mihdhar et d’al-Hazmi ne soit révélé. À moins que la raison d’État ne s’impose pour le dissimuler, sachant que cette opération était totalement illégale sur le sol américain.
Maxime Chaix