L’accord entre Israël, Bahreïn et les Émirats : un traité de paix qui sèmera la guerre

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Signé le 15 septembre dernier, l’accord de paix entre les Émirats, Bahreïn et Israël est décrit comme un triomphe de Donald Trump sur la scène internationale. Première limite à ce raisonnement : ce traité découle surtout de l’habile diplomatie clandestine de Yossi Cohen, le directeur du Mossad. Essentiellement, cet accord risque d’encourager des politiques nocives dans cette région et au-delà : absence de solutions viables pour les Palestiniens, expansion des ventes d’armes dans cette région, et intensification des hostilités contre un axe pro-turc lui-même très agressif au Moyen-Orient et au-delà. Dans ce contexte, découvrez pourquoi cet accord de paix risque d’intensifier certaines guerres actuelles et d’en préparer de nouvelles – malgré des aspects positifs que nous ne manquerons pas de souligner. 

 

Les accords d’Abraham : des perspectives positives à ne pas négliger 

 

En quête de succès sur la scène internationale, Donald Trump ne pouvait qu’exulter lors de la signature, le mardi 15 septembre à la Maison-Blanche, d’un traité de paix historique entre l’État hébreu et ses anciens rivaux émiratis et bahreïnis. Comme l’a rapporté Le Figaro, Trump estime qu’« “après des décennies de divisions et de conflits, nous sommes témoins de l’aube d’un nouveau Moyen-Orient” (…) Il a affirmé que “cinq ou six pays” arabes supplémentaires suivraient “très bientôt” l’exemple des deux États du Golfe, sans préciser lesquels. » En quête d’une réélection, il est compréhensible que Trump cherche à revendiquer ces succès diplomatiques récents et futurs au Moyen-Orient.

 

En réalité, les négociations secrètes de Yossi Cohen sont à l’origine des accords d’Abraham, sachant que le directeur du Mossad « a effectué plusieurs voyages clandestins aux Émirats Arabes Unis cette année (…) Cohen a fréquemment rencontré des représentants des Émirats, de l’Arabie saoudite, du Qatar, de la Jordanie et de l’Égypte dans le cadre d’un effort lancé depuis plusieurs années afin d’établir des relations avec les États du Golfe ». En effet, les négociations en vue de normaliser les rapports d’Israël avec ces pays arabes sont du ressort du Mossad, et leur chef Yossi Cohen vient d’ailleurs de déclarer que l’Arabie saoudite pourrait suivre cette voie.

 

Cette précision était faite, signalons l’aspect le plus problématique dans cette déclaration de Trump, qui nous décrit l’« aube d’un nouveau Moyen-Orient (…) après des décennies de divisions et de conflits ». En effet, les accords d’Abraham et ceux qui suivront pourraient être le précurseur de nouvelles guerres. Dans tous les cas, ce traité aggravera les conflits actuels entre l’alliance Émirats/Arabie/Égypte/Israël et leurs rivaux turcs, qataris et iraniens, qui forment un nouvel axe. Or, avant d’exposer nos critiques des accords d’Abraham, soulignons leurs potentiels aspects positifs. En effet, il serait intellectuellement malhonnête de ne pas souligner les effets bénéfiques qu’ils pourraient induire.

 

Comme le New York Times l’a récemment observé, les avis divergent grandement vis-à-vis des implications de ces accords. Parmi les observateurs les plus optimistes, le chroniqueur du Times Bret Stephens et l’ex-conseiller de l’Autorité palestinienne Ghaith al-Omari estiment que ce traité pourrait finalement aider les Palestiniens. En effet, Stephens observe que « des décennies d’échec dans la résolution du conflit israélo-palestinien ont révélé la futilité de [la] stratégie » d’opposition systématique à Israël. Selon lui, « renverser cette tendance en normalisant d’abord les relations israélo-arabes (…) pourrait être ce qui finira par instaurer les conditions d’un État palestinien ». Omari partage cet avis, en estimant que, « dans une région qui est habituée aux situations qui empirent, il s’agit d’une rare bonne nouvelle » sur laquelle la communauté internationale devrait capitaliser pour ramener les Israéliens et les Palestiniens à la table des négociations. Ces arguments sont intéressants, qu’on les partage ou pas

 

Quant au célèbre chroniqueur Thomas Friedman, il fait valoir « que de nombreux États arabes sunnites modérés ont reconnu le besoin urgent, né de l’effondrement des prix du pétrole et de la flambée de leurs jeunes populations, de diversifier leurs économies et leurs relations commerciales. » Si le terme « modérés » peut sembler antinomique pour décrire les pétromonarchies du Golfe, il n’en demeure pas moins que Friedman a raison vis-à-vis du pragmatisme économique qui sous-tend la conclusion de ces accords. Il souligne ainsi que « tout ce qui fait que le Moyen-Orient ressemble davantage à l’Union européenne et moins à la guerre civile syrienne est une bonne chose », et il est difficile de lui donner tort sur cet argument.

 

Hélas, Friedman oublie le fait qu’en avril 2017, il avait appelé Trump à ne pas combattre Daech en Syrie, affirmant que le Président américain « devrait laisser Daech être le casse-tête d’Assad, de l’Iran, du Hezbollah et de la Russie – de la même manière que nous avons encouragé les combattants moudjahidines à saigner la Russie en Afghanistan. » Ce simple paragraphe résume à lui-seul la mentalité des partisans d’une normalisation diplomatique entre Israël et les pétromonarchies du Golfe. En effet, ces puissances sont avant tout animées par des illusions hégémonistes, et non par la paix mondiale – à l’instar de leurs rivaux du bloc pro-turc. 

 

Israël et ses « nouveaux » alliés du Golfe sont des faucons, pas des colombes

 

Dans Politico.com, l’ex-secrétaire d’État Madeleine Albright et l’ancien conseiller à la Sécurité nationale Stephen Hadley ont affirmé que les accords d’Abraham découlaient de la crainte des Émirats et de leurs alliés locaux vis-à-vis de l’Iran. Or, comme l’avait souligné le chef du Mossad il y a un an et demi, « le pouvoir iranien est fragile, mais la vraie menace vient de Turquie ». Comme l’a justement souligné Jason Pack dans Foreign Policy, les accords d’Abraham « sont susceptibles de façonner l’avenir du Moyen-Orient en officialisant sa division en deux blocs concurrents : l’intégration d’Israël au sein d’un bloc traditionaliste, monarchiste et anti-Frères Musulmans. Cette alliance regroupe l’Égypte, la Jordanie, le Maroc, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie saoudite et, dans une moindre mesure, Oman, le Soudan et le Koweït. Bien qu’elle détienne l’essentiel du pouvoir économique, cette alliance est en difficulté face à un bloc de gouvernements qui s’opposent au statu quo, et qui soutiennent l’islam politique d’une manière ou d’une autre. »

 

Précisant son argumentaire, Jason Pack explique que « ce bloc insurrectionnel rival est dirigé par la Turquie, l’Iran et le Qatar. Bien qu’il soit salué comme un “accord de paix”, il est probable que le traité entre les Émirats et Israël prolonge les guerres régionales en cours. Il intensifiera les conflits dans les zones contestées du Moyen-Orient où les deux blocs soutiennent des acteurs rivaux – principalement au Yémen, en Libye et en Syrie. Actuellement, le bloc insurgé s’impose dans ces trois conflits. » Le chercheur Trita Parsi rejette également l’alibi de la « menace iranienne » pour expliquer les accords Abraham. Comme l’a souligné le New York Times, cet expert est « en désaccord avec le consensus général sur la politique étrangère américaine, (…) soutenant que ce traité n’avait que peu à voir avec le danger posé par l’Iran ».

 

En effet, Trita Parsi rappelle que, « pendant des décennies, les États-Unis et Israël ont exagéré [la menace iranienne] pour satisfaire des objectifs politiques impopulaires. “Ce qui lie Israël, l’Arabie et les Émirats, ce n’est pas tant le péril iranien que la menace d’un départ de l’armée américaine du Moyen-Orient” ». Il ajoute que « “ces trois États ont été les principaux bénéficiaires de la suprématie militaire américaine dans cette région, leur offrant un équilibre des pouvoirs favorable qu’ils n’auraient pu atteindre seuls.” Cette impression est renforcée par des informations selon lesquelles l’administration Trump a discrètement récompensé les Émirats d’une vente d’armes pour sa coopération avec Israël. Selon M. Parsi, certains États du Golfe considèrent de tels échanges comme des pactes de défense informels, qui imposent une protection militaire américaine. »

 

Comme nous l’avions déjà souligné dans nos colonnes, un consensus est en train de se former entre l’Occident et ses alliés du Moyen-Orient sur la montée en puissance de la menace turque. Dans un tel contexte, la normalisation diplomatique entre l’État hébreu et ses anciens rivaux arabes – si elle peut induire les effets positifs que nous avons cités –, risque également d’aggraver les conflits syriens, yéménites et libyens, tout en augurant d’autres guerres dans le « Grand Moyen-Orient » et au-delà.

 

Maxime Chaix

 

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