Iran : l’Union européenne face au terrorisme économique de Donald Trump

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Un spécialiste de l’Iran et des sanctions qui lui sont imposées par le cabinet Trump nous a proposé cette tribune, qu’il souhaitait publier sous couvert d’anonymat. Nous avons décidé de la reproduire, sachant qu’elle explique les conséquences désastreuses de ces mesures punitives américaines sur la population iranienne. En effet, de telles sanctions n’ont pas d’effet notable sur le pouvoir local, alors qu’elles frappent durement des millions de citoyens ordinaires, en particulier ceux qui ont des problèmes de santé – d’où l’expression de « terrorisme économique » employée par l’auteur de cette tribune. Fondée sur l’extraterritorialité du Droit américain, cette punition collective infligée au peuple iranien est à la fois illégale et rejetée par la communauté internationale, qui avait signé avec l’Iran l’accord nucléaire de 2015 visant à apaiser nos relations avec ce pays. Bien que le pouvoir iranien ne soit pas exempt de tout reproche, nous nous préoccupons surtout des millions de personnes qui souffrent de cette vaste guerre économique du cabinet Trump, dont la tribune suivante nous décrit les effets délétères. 

 

Désorienté dans sa campagne et confronté à des sondages en chute libre, mais plus encore désespéré à l’idée de quitter la Maison-Blanche, « havre de chaos » qui le préserve des nombreux ennuis judiciaires qui l’attendent, Donald Trump vient de faire adopter de nouvelles mesures de sanctions étendues à l’ensemble du secteur bancaire et financier iranien. Habilité par décret présidentiel, c’est encore le tandem Mnuchin-Pompeo qui s’est collé avec gourmandise à cette besogne. Ne nous y trompons pas, dans un Iran déjà placé sous les pires sanctions qui aient jamais existé, et opposant une résistance économique aussi tenace qu’inattendue malgré les dommages significatifs portés à son économie, c’est le secteur dit « humanitaire » qui est visé.

 

Pour se tenir à la doxa américaine pétrie de bons sentiments de façade, selon laquelle les exportations vers l’Iran de médicaments, de certains matériels médicaux, d’aliments et de certains produits agricoles sont depuis toujours exemptées de sanctions, l’administration Trump a brandi la toute fraiche Licence Générale L. Cette Licence ne nous apprend rien de neuf, et se limite au simple rappel que lesdites exportations humanitaires échappent toujours au mille-feuille de sanctions contre l’Iran, de même que l’industrie manufacturière iranienne dédiée aux secteurs médical et agro-alimentaire comme à la production de certains biens de consommation courante liés à l’hygiène est semblablement exemptée de sanctions secondaires. Merci, c’était déjà écrit quelque part ; mais les sanctions américaines étant rédigées dans des termes à ce point vagues, une précision n’était finalement pas inutile.

 

L’intérêt de ces réaffirmations réside plus assurément dans la révélation du cynisme de Trump et de la clique de fondamentalistes iranophobes qui l’entoure. En s’attaquant à la quinzaine de banques qui échappaient encore aux sanctions secondaires, Trump vise à bloquer l’ensemble du système financier iranien et à le couper presque définitivement de ses maigres relations avec une poignée de banques européennes et asiatiques qui maintenaient un flux d’affaires avec l’Iran. De nombreux analystes avaient déjà soulevé le fait que les sanctions existant jusqu’à présent avaient suffisamment dissuadé les banques internationales de traiter avec l’Iran, et qu’elles avaient grandement affecté le commerce des denrées agricoles, alimentaires et médicales avec ce pays.

 

L’extension des sanctions secondaires à l’ensemble du secteur financier iranien, permise par le dernier grand décret présidentiel ciblant l’Iran, attaque spécifiquement les entreprises européennes et asiatiques. En effet, ce sont désormais toutes les opérations financières se rapportant à des transactions hors des seules exemptions agricoles et médicales qui font courir le risque de mesures punitives américaines contre les banques qui oseraient les réaliser. Agitant la menace réelle ou supposée de pénalités tirées de la violation du corps de lois américaines à visée extraterritoriale, le sournois travail d’intimidation déployé par l’administration Trump fait déjà le reste. Il fonctionne remarquablement bien, à en juger par l’état de peur et de sidération dans lequel se trouvent presque toutes les banques européennes et tant d’entreprises de même origine dès qu’il est question de l’Iran.

 

Quels seront les effets de cette manœuvre de sicaires ? La réponse est claire : plonger dans le désespoir tant de patients innocents et de praticiens iraniens sevrés de l’accès à des médicaments et des moyens de traitement dont ils ont tant besoin, en particulier en cette période de pandémie. Dès avant l’éruption de la vague de Covid-19 qui touche des millions d’Iraniens, des pénuries de médicaments essentiels se faisaient durement sentir dans des spécialités comme l’oncologie ou la prise en charge d’autres maladies sévères ou rares. Même un médicament simple comme l’aspirine est aujourd’hui difficile à trouver en Iran. En clair, la population iranienne est collectivement punie d’être née dans ce pays, et de ne pas avoir renversé le gouvernement local en se révoltant. Le cynisme qui sous-tend ces sanctions est sidérant. 

 

En effet, les objectifs régulièrement affichés par l’administration Trump visent la litanie des méfaits attribués à l’Iran, dont ses velléités d’influence régionale. Or, depuis la doctrine Carter formulée en 1979, les États-Unis se sont clairement affranchis du respect du principe de la souveraineté nationale au Moyen-Orient ; dès lors, ils ne se sont jamais gardé d’exercer toute forme d’influence sur les pays de la région du golfe Persique. Or, l’Histoire nous laisse à penser que l’Iran, semblable au roseau de la fable, ne flanchera pas. Il pliera, peut-être un peu plus. Son peuple souffrira davantage avec la résignation et la patience propres aux grands caractères. Le régime et ses satellites ne partiront pas, et il se pourrait même qu’ils sortent renforcés de cette nouvelle épreuve qu’aucun pays occidental ne pourrait probablement supporter ni tolérer, en premiers lieux les États-Unis.

 

Surtout, la créativité des Iraniens pour se jouer de l’Amérique et de ses sanctions – qui sont aussi nombreuses et douloureuses qu’inefficaces dans le but assigné –, se révélera avec encore plus d’acuité, contrairement à ce qu’espèrent les stratèges iranophobes de Washington. Plus dure sera l’épreuve, plus résolue sera la résistance des Iraniens, qui perçoivent majoritairement dans ces nouvelles sanctions une atteinte plus globale à la Nation perse. Ainsi, l’administration Trump fait ici démonstration de sa plus parfaite ignorance de l’histoire et de l’âme perses.

 

Plus encore, même si le rôle régional de l’Iran est souvent décrié, cette situation a suscité l’ire et les réactions d’une grande majorité d’analystes, de politiques et de diplomates de nombreux pays qui ont vainement appelé à un relâchement des sanctions contre l’Iran tant que la pandémie faisait rage. Ces invocations n’ont atteint que des esprits et des cœurs secs, et sont restées sans réponse autre qu’un tour supplémentaire du couteau coercitif dans la plaie de la population iranienne. Elles ont pourtant bien démontré les effets délétères des sanctions économiques sur la lutte contre le Covid-19. L’outrance des dernières sanctions contre le système financier iranien, qui paralyseraient de facto le secteur humanitaire et la lutte contre la pandémie, amènent cette fois experts et diplomates à considérer que l’administration Trump a franchi le pas de l’illégalité la plus totale. D’aucuns n’hésitent plus à comparer ces mesures illégales, immorales et iniques à des actes de terrorisme économique, condamnant à une mort certaine des dizaines de milliers d’Iraniens luttant contre la pandémie en particulier, et la maladie en général.

 

Pendant ce temps, l’Europe reste globalement incapable de réagir au double scandale des sanctions américaines ciblant autant l’Iran que ses entreprises et des conséquences sanitaires désastreuses qui les accompagnent.

 

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