Récemment, Donald Trump a surpris ses généraux en annonçant sur Twitter qu’il souhaitait rapatrier les troupes américaines déployées en Somalie, en Afghanistan et en Syrie. Or, son chef d’état-major interarmées a refusé de confirmer ces plans, et un certain nombre de généraux et d’experts des questions de Défense critiquent ce qu’ils perçoivent comme des décisions purement électoralistes. Dans tous les cas, nous verrons que ces retraits contestés, s’ils se réalisent, ne mettront pas un terme à ces conflits, ni à l’engagement des États-Unis dans ces régions. En effet, entre les réticences du leadership militaire à quitter ces théâtres, et la conflictualité persistante qui s’est imposée dans ces pays, il sera impossible de mettre un terme aux « guerres sans fin » de Washington dans un futur proche. Décryptage.
Le 17 octobre dernier, nos confrères de l’Associated Press ont rapporté que « le conseiller à la Sécurité nationale du Président Trump [avait confirmé] son assertion voulant que le nombre de soldats américains en Afghanistan passerait à 2 500 au début de l’année prochaine, tout en suggérant que le tweet de Trump selon lequel toutes les forces devraient rentrer chez elles à Noël était plus un souhait qu’une réalité. » Ils ajoutèrent qu’il cherchait « à clarifier une série de déclarations déroutantes [de Trump] sur la présence américaine en Afghanistan, (…) dans une apparente pique adressée au général Mark Milley, le président du Comité des chefs d’état-major interarmées. Milley a déclaré ces derniers jours que les États-Unis exécutaient un plan pour réduire le nombre de soldats à 4 500 en novembre, mais parler de toute réduction supplémentaire relèverait selon lui de la “spéculation” ».
En réalité, le général Milley n’est pas le seul à critiquer ce plan au Pentagone, et l’Afghanistan n’est pas l’unique pays concerné par ces déclarations de Donald Trump. En effet, comme l’a rapporté le New York Times le 15 octobre, le Président américain « a déclaré à des conseillers de haut rang qu’il souhaitait également adopter des plans de retrait de toutes les forces américaines en Somalie, malgré les avertissements de hauts responsables de l’armée et de la lutte antiterroriste estimant qu’une telle initiative renforcerait la filiale meurtrière d’al-Qaïda dans ce pays, et céderait à la Chine et à la Russie un terrain stratégique en Afrique de l’Est. » Toujours selon le Times, « le Président a envoyé des signaux contradictoires le mois dernier en déclarant que les forces américaines “sont hors de Syrie”, sauf pour garder les champs pétrolifères de la région. Ses commentaires sont intervenus le jour où le Pentagone annonça qu’il envoyait des véhicules de combat Bradley, davantage d’avions de combat et une centaine de soldats supplémentaires dans le Nord-Est de la Syrie après qu’un véhicule blindé russe y ait percuté une patrouille terrestre américaine en août, blessant sept soldats. »
En clair, Trump montre une volonté explicite de respecter l’une de ses promesses de campagne, soit le fait de mettre un terme aux « guerres sans fin » des États-Unis. Ce n’est pas la première fois qu’il réaffirme cette ambition, mais qu’il se heurte aux réticences du Pentagone et du Congrès. En décembre 2018, son secrétaire à la Défense James Mattis démissionna du fait qu’il s’opposait à la volonté de Trump de retirer les troupes du Pentagone déployées en Syrie. Comme on a pu l’observer par la suite, cette décision ne fut pas immédiatement mise en œuvre, et le projet de retirer les soldats américains du Nord de la Syrie à l’automne 2019 s’est traduit par un redéploiement dans l’Est de ce pays. Il sera donc difficile, pour ne pas dire impossible, que Trump rapatrie l’intégralité des troupes américaines opérant au Levant, d’autant plus qu’il veut y maintenir celles qui « gardent le pétrole ». Cette volonté s’est traduite par un accord récent entre l’administration autonome kurde dans le Nord-Est syrien et une compagnie pétrolière américaine, alors qu’environ 600 soldats du Pentagone restent déployés dans cette zone pour y assurer cette mission et la lutte contre Daech.
Parallèlement, un éventuel retrait des soldats américains opérant en Somalie serait symbolique, puisque les États-Unis devraient y poursuivre des opérations militaires contre la branche locale d’al-Qaïda. Comme l’a souligné le Times, « une idée actuellement à l’étude consisterait à retirer la plupart ou la totalité des troupes terrestres du pays – y compris celles qui ont formé et conseillé les forces somaliennes –, et à mettre fin aux frappes visant à combattre ou à dégrader les Shebab, la filiale la plus vaste et active d’al-Qaïda. Les frappes antiterroristes, l’utilisation de drones, la présence de troupes dans les pays voisins et le ciblage individuel de membres des Shebab soupçonnés de planifier des attaques terroristes en dehors de la Somalie seraient toujours autorisés. »
En Afghanistan, outre le fait qu’un retrait total des troupes américaines avant Noël semble irréalisable, Washington continuera d’opérer dans ce pays par le biais du Pakistan. En effet, comme l’a observé le spécialiste Karim Pakzad, « non seulement Donald Trump remet les clés de l’Afghanistan aux talibans, mais il garde un double ! Les États-Unis seront présents en Afghanistan par le biais de leur allié pakistanais, sans avoir besoin d’une présence militaire sur le terrain. Et il est probable que l’Afghanistan, où 90 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, bénéficiera d’une aide financière américaine. »
Rappelons alors que la volonté de Trump de retirer ses soldats d’Afghanistan est due au fait qu’il souhaite transférer les 50 milliards de dollars de dépenses militaires annuelles dédiées à ce pays vers son effort prioritaire de contrer la Chine. Ironiquement, un retrait précipité des États-Unis encouragerait une implantation chinoise en Afghanistan, qui est déjà envisagée dans les secteurs miniers et pétroliers. Soulignons d’ailleurs que ce pays est l’un des 138 signataires du protocole d’accord de l’Initiative Route et Ceinture, et que Pékin n’ignore pas les potentiels 1 000 milliards de dollars de réserves de minerais estimés par le Pentagone en 2010, qui perçoit l’Afghanistan comme une potentielle « Arabie saoudite du lithium ». Vu l’audacieuse guerre des semi-conducteurs lancée par l’administration Trump contre Pékin en mai dernier, l’éventualité que la Chine finisse par bénéficier d’un retrait américain d’Afghanistan en accédant à ses vastes réserves de terres rares serait pour le moins ironique – d’autant plus que l’Empire du Milieu est en train de doper ses capacités de production dans ce domaine en réponse à l’embargo de Washington.
Comme l’a souligné un détracteur de ce plan de retrait anticipé, l’implantation chinoise en Afghanistan serait facilitée par les infrastructures construites dans ce pays grâce au contribuable américain, ce qui représente une aide à la reconstruction de 140 milliards de dollars. En clair, l’opposition du Pentagone et du Congrès à tout retrait total des forces américaines d’Afghanistan sera féroce, et Donald Trump aura du mal à concrétiser cette volonté dans un futur proche.
Comme en Afghanistan, un retrait précipité de Somalie suscite l’hostilité des généraux américains, qui craignent qu’une telle initiative encourage leurs rivaux russes et chinois à s’implanter dans ce pays et au-delà. Comme l’a affirmé le principal porte-parole de l’AFRICOM, « quand vous vous intéressez à la compétition entre grandes puissances en Afrique, il s’agit vraiment d’une zone où la Chine et la Russie cherchent à être influentes et continuent d’accroître leurs activités, en particulier sur le front économique ».
L’Irak fait partie de ces pays dont Trump veut rapatrier les troupes américaines. Or, « le général du Corps des Marines Frank McKenzie, qui supervise les opérations militaires au Moyen-Orient, a déclaré (…) que d’ici novembre, les effectifs des troupes irakiennes passeraient d’environ 5 200 à près de 3 000 ». Là encore, un retrait total semble improbable, et un tel plan susciterait à nouveau l’opposition explicite du Pentagone. Dans tous les cas, toute réduction de troupes dans les nations empêtrées dans les « guerres sans fin » de Washington n’est pas nécessairement définitive, comme on a pu l’observer lorsqu’Obama dut redéployer les forces américaines en Irak à partir de l’été 2014, du fait de la montée en puissance de Daech dans ce pays et dans la Syrie voisine.
Plus globalement, comme l’a observé notre confrère Christopher Woody, « la rhétorique de Trump contre les “guerres sans fin” et ses attaques plus récents contre le complexe militaro-industriel ne se reflètent pas dans ses politiques. En plus de promouvoir diverses ventes d’armes, Trump s’est réjoui de ses budgets militaires élargis. En outre, de nombreux postes au Pentagone sont désormais occupés par d’anciens dirigeants et lobbyistes de l’industrie de la Défense – y compris l’actuel chef du Pentagone. Trump a également présidé à l’augmentation des frappes aériennes et des frappes de drones en Afrique et au Moyen-Orient, tuant plus de civils dans le processus. L’assassinat par Trump du général iranien Qassem Soleimani a amené les États-Unis au bord de la guerre avec l’Iran (…) Si les annonces de retrait et certaines nominations potentielles sont les bienvenues, “nous devons regarder ce qui s’est réellement passé (…) et il est donc impossible de dire que cette administration s’est distinguée” par une quelconque retenue dans sa politique étrangère, selon Ben Friedman, le directeur des politiques de Defence Priorities. (…) Trump n’a pas encore réduit le nombre total de soldats au Moyen-Orient “et il n’a mis fin à aucune guerre”, (…) toujours selon Friedman. »
En résumé, sachant qu’il n’est habituellement pas soutenu par le Congrès et le Pentagone pour mettre en œuvre ses plans de retrait, Donald Trump s’est retrouvé dans l’incapacité de mettre un terme aux « guerres sans fin » des États-Unis, tout en aggravant le conflit au Yémen, en imposant des budgets militaires record, et en multipliant les foyers de tensions du fait de ses politiques d’embargos. L’on peut néanmoins comprendre qu’il cherche à renforcer le mythe d’un Président opposé à la guerre, sachant qu’un nombre croissant d’Américains est hostile à ces conflits sans fin.
Maxime Chaix