À l’heure où nous écrivons ces lignes, l’OTAN vient de tweeter un appel à « célébrer notre alliée la Turquie », alors qu’Ankara multiplie les provocations diplomatiques et militaires vis-à-vis de ses propres partenaires de l’Alliance atlantique – dont la France. Bien que l’ex-Président Hollande vient de remettre en question l’appartenance de la Turquie à l’OTAN, il est clair que cette organisation a choisi son camp – celui d’Ankara. En parallèle, le Président Macron souhaite se rapprocher de la Russie, et il considère que l’OTAN est en état de « mort cérébrale ». Dès lors, on peine à comprendre pourquoi la France ne quitte pas cette organisation, ou au moins son commandement intégré comme De Gaulle en 1966. Voici donc pourquoi l’Élysée devrait sortir de cet « en même temps » stratégique vis-à-vis de l’OTAN, dont l’obsession anti-russe l’amène à soutenir une Turquie de plus en plus menaçante pour notre sécurité collective.
Comme nous l’avons documenté, la présidence Hollande fut marquée par une diplomatie extrêmement conciliante vis-à-vis de la Turquie, y compris lorsqu’elle soutenait Daech en Syrie. Or, dans le contexte actuel, l’ancien Président français ne ménage plus Ankara. « Qu’est-ce qu’on fait, la France, la Turquie, dans la même alliance ? » s’est récemment interrogé François Hollande, en dénonçant les « politiques agressives [d’Erdogan] à l’égard de pays alliés, et qui encouragent des conflits armés aux portes de l’Europe (…) La Turquie aujourd’hui a un comportement en Syrie qui n’est pas acceptable, provoquant des conflits qui peuvent encourager les organisations terroristes à ressurgir ». Selon lui, les « comportements agressifs de la Turquie, oui, ça pose un problème de présence de [ce pays] dans l’Alliance atlantique ».
Or, il est clair que l’OTAN, par la voix de son secrétaire général Jens Stoltenberg, a publiquement appuyé les dernières offensives turques dans le Nord-Ouest syrien et en Libye. Dans ce dernier cas, il avait exigé que l’embargo sur les exportations d’armes dans ce pays soit étendu à la terre et dans les airs, sachant que la Turquie livrait par voie maritime une abondance de matériel militaire au gouvernement libyen proche des Frères Musulmans. En mai dernier, il avait confirmé le soutien de l’OTAN en faveur des autorités libyennes pro-turques, répondant positivement à une demande d’aide à l’entrainement de leurs forces armées.
En ce qui concerne la Syrie, et en particulier lors de l’offensive russo-syrienne d’Idleb durant l’hiver dernier, Stoltenberg avait affirmé que l’OTAN continuerait de soutenir la Turquie et son système de défense aérienne, tout en exhortant la Russie et ses alliés syriens à stopper leur campagne militaire dans cette région. Rappelons alors que le responsable de la coalition anti-Daech, Brett McGurk, avait déclaré en juillet 2017 que « la province d’Idleb [était devenue] le plus vaste refuge d’al-Qaïda depuis le 11 septembre », regroupant des dizaines de milliers de combattants affiliés à l’ex-Front al-Nosra. Il reconnut alors que cette poche était devenue un « énorme problème », tout comme le général Lecointre un an plus tard. Or, en confirmant le soutien de l’OTAN à la Turquie, Stoltenberg s’abstenait de rappeler que cette campagne militaire des forces turques appuyait les réseaux djihadistes locaux.
En Libye comme en Syrie, l’appui de l’OTAN pour l’interventionnisme d’Ankara se fonde essentiellement sur sa volonté de contenir la Russie, et d’empêcher la Turquie de nouer une alliance avec Moscou. Comme l’a récemment souligné le sous-secrétaire d’État américain R. Clarke Cooper, « ce serait au détriment de l’Alliance de ne pas maintenir la Turquie [parmi ses membres] (…) Le seul bénéficiaire d’une rupture de la Turquie avec l’Occident ou de sa séparation avec l’Europe serait Moscou (…) Cela aurait des conséquences qui nous affecteraient négativement, même pour la Turquie ». Nous estimons au contraire que l’Union européenne est affaiblie par l’obsession anti-russe de Washington, qui renforce un Président turc dont nous peinons à comprendre en quoi il est notre allié. L’importance de la Turquie dans le dispositif de l’OTAN explique pourquoi Washington hésite encore à sanctionner Ankara après ses premiers tests des S-400 achetés à Moscou. Si l’on peut percevoir que le gouvernement américain est souvent agacé par les provocation d’Erdogan, ses plus hauts responsables reconnaissent que la Turquie reste un membre clé de l’Alliance atlantique.
Le même embarras se fait ressentir lorsque Jens Stoltenberg confirme sans enthousiasme que l’OTAN soutient la Turquie, ou qu’il s’abstient de condamner ses opérations les plus contestables, comme en Méditerranée orientale ou dans le Nord-Est syrien l’automne dernier. Visant nos alliés kurdes, cette campagne avait suscité une réaction furieuse d’Emmanuel Macron. En effet, il l’avait décrite comme « une faute lourde de l’Occident et de l’OTAN dans la région », qui affaiblissait « notre crédibilité pour trouver des partenaires sur le terrain qui se battront à nos côtés en pensant qu’ils sont protégés durablement », et qui interrogeait « aussi le fonctionnement de l’OTAN ». À l’époque, il en avait conclu que l’Alliance atlantique était « en état de mort cérébrale », et les tensions entre la France et la Turquie n’ont cessé de s’envenimer depuis lors. Et comme on peut le constater actuellement, elles atteignent un point critique.
Soyons clairs : face à la menace soviétique, l’existence de l’OTAN trouvait une raison d’être logique. Or, malgré la fin de la guerre froide, l’Alliance atlantique s’est élargie vers les frontières russes, et elle a mené des opérations catastrophiques, en particulier en Yougoslavie puis en Libye. Alors que la Russie se rapprochait de l’orbite occidentale sous Eltsine et durant les premières années de l’ère Poutine, le discours prononcé par ce dernier à Munich en 2007 explicita la rupture entre Moscou et Washington, qui fut notamment motivée par l’unilatéralisme américain et le déploiement du bouclier antimissile voulu par l’administration Bush.
La guerre de l’OTAN en Libye fut un nouveau tournant pour Moscou, sachant que le changement de régime dans ce pays n’était pas prévu par la résolution 1973. Il en a résulté le soutien inconditionnel de Poutine en faveur d’Assad, et le développement correspondant des activités navales de l’armée russe en Méditerranée depuis leur base de Hmeimin, ce qui inquiète l’OTAN. Dans la guerre civile libyenne, la Russie s’est rangée du côté d’Haftar, qu’elle a soutenu au même titre que la France, alors que l’OTAN appuie le camp opposé lui-même sous protection turque. En Azerbaïdjan, Moscou et Paris sont à nouveau sur la même ligne, et vont même jusqu’à échanger des renseignements sur les djihadistes déployés par les services turcs dans le Haut Karabagh.
À l’aune de ces exemples, l’on peine à comprendre où est la cohérence stratégique dans le maintien de la France au sein du commandement intégré de l’OTAN. D’ailleurs, pourquoi ne pas remettre en cause notre appartenance à une organisation militaire focalisée sur l’appui des guerres illégales de Washington, et sur la montée des tensions avec la Russie ? En effet, ces objectifs menacent la sécurité collective européenne, notamment car ils poussent l’Alliance atlantique à soutenir le militarisme turc afin d’empêcher l’émergence d’un axe Moscou-Ankara. Il est donc illusoire de penser que la Turquie puisse être exclue de l’OTAN. Dès lors, il est incohérent d’appartenir à une organisation « en état de mort cérébrale », comme l’avait déclaré le Président Macron.
Maxime Chaix
Adam
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