Politique étrangère : Macron sur les pas du général de Gaulle ?

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Après la parenthèse néoconservatrice des deux prédécesseurs d’Emmanuel Macron, ce dernier a impulsé une politique étrangère indépendante de celle des États-Unis sur plusieurs dossiers importants (Russie, Turquie, Libye, Iran, Liban, etc.). Paradoxalement, il considère que l’Union européenne a vocation à devenir une puissance émancipée de la tutelle de Washington, et qu’une « souveraineté européenne » serait possible malgré l’atlantisme forcené de nombreux États membres de l’UE – dont ceux qui achètent massivement des armes américaines. Alors qu’il commémore les 50 ans de la disparition du général de Gaulle en célébrant « l’esprit de la Nation », Emmanuel Macron doit abandonner ses illusions d’une Europe-puissance et s’inspirer davantage du « Grand Charles » dans ses relations avec Washington. En voici les raisons. 

 

Dans un article titré « Emmanuel Macron et l’État profond », notre confère Marc Endeweld a proposé un pertinent résumé de la politique étrangère des trois derniers Présidents français : « Respecter les alliances sans s’aligner sur les États-Unis : la voie diplomatique singulière de la France tracée par le général de Gaulle a été poursuivie jusqu’à la présidence Chirac. Elle fut ensuite abandonnée par MM. Sarkozy et Hollande avec l’arrivée au Quai d’Orsay de diplomates néoconservateurs. M. Macron affirme vouloir renouer avec l’héritage gaullien, notamment vis-à-vis de la Russie, mais sans vraiment s’en donner les moyens. »

 

Si nous souscrivons à cette analyse, nous en nuancerons le dernier argument. En effet, sur de nombreux dossiers, Emmanuel Macron est en opposition frontale avec Washington : politique de sanctions américaines contre l’Iran ; aval du cabinet Trump pour l’offensive turque contre les Kurdes syriens ; inclusion du Hezbollah dans la solution politique promue par l’Élysée au Liban ; volonté de construire une Défense européenne affranchie des États-Unis, y compris dans le domaine de l’armement ; politique de rapprochement avec la Russie. Certes, sur ce dernier point, le dossier biélorusse et les tensions qui résultent de l’affaire Navalny empêchent un réchauffement notable des relations franco-russes. Néanmoins, Paris a longtemps soutenu le même camp que Moscou dans la guerre civile libyenne, et leurs convergences de vues sur le conflit du Haut-Karabagh conduit les services français et russes à échanger des renseignements sur les djihadistes envoyés par la Turquie dans cette enclave.

 

Sur fond de rivalités multiples entre Moscou et Ankara, il est clair que Paris a des intérêts convergents avec la Russie, alors que l’OTAN soutient clairement la Turquie pour tenter d’éviter qu’elle ne bascule dans l’orbite russe. Cet appui de l’Alliance atlantique en faveur de Turcs avait conduit le Président français à déclarer que l’OTAN était en état de « mort cérébrale » durant l’automne 2019. Alors que d’aucuns imaginent la résolution de ce grief avec Joe Biden à la Maison-Blanche, il n’en demeure pas moins que la France n’est plus l’alliée de la Turquie. Certes, Biden pourrait se montrer plus virulent face à Erdogan. Néanmoins, l’importance de la Turquie dans le dispositif de l’OTAN nous amène à en douter.  

 

Quoi qu’il en soit, Macron a clairement mis un terme aux politiques néoconservatrices que l’Élysée et le Quai d’Orsay avaient imposées depuis la présidence Sarkozy. En février dernier, le chef de l’État a souligné son attachement à la souveraineté nationale française, tout en martelant la nécessité que l’Union européenne s’autonomise des États-Unis. Ce discours a été accueilli froidement par les puissances les plus atlantistes du continent, qui s’inquiètent des intentions bellicistes de Moscou – qu’elles soient réelles ou fantasmées.

 

L’automne précédent, un confrère des Échos avait souligné à quel point les tentatives de rapprochement franco-russe irritaient nombre de nos partenaires européens : « Macron envisage le retour de la Russie dans le club des pays les plus industrialisés. Mais des alliés, notamment l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et les pays baltes, “sont sur leurs gardes”. Plusieurs pays plaident pour maintenir ou même renforcer les sanctions imposées après l’annexion de la Crimée en 2014. Le président de la commission des Affaires étrangères du Bundestag, Norbert Röttgen, a ainsi accusé Paris de ne pas s’être concerté ni avec Berlin, ni avec les autres pays européens. “Nous n’avons pas d’illusions” sur la Russie, [selon] l’un des conseillers du Premier Ministre polonais. »

 

Atlantiste au point d’être surnommée le 51ème État américain, la Pologne achète en masse des armements « made in USA », ayant dépensé plus de 10 milliards de dollars dans de telles acquisitions depuis trois ans (batteries antimissile Patriot, missiles antichar, hélicoptères Black Hawk, lance-roquettes mobiles HIMARS, missiles de croisière, avions de combat F-35, etc.). Or, dans le cadre de son plan de modernisation, Varsovie souhaite « consacrer à la Défense (…) jusqu’à 133 milliards de dollars environ pour l’achat de nouveaux armements et équipements. Les industriels américains peuvent déjà se frotter les mains ».

 

En parallèle, l’Allemagne est contrainte d’acquérir 45 avions de combat Boeing F-18 dans le cadre du dispositif de dissuasion nucléaire et de guerre électronique de l’OTAN. En 2018, la Belgique avait choisi d’acheter 34 avions multirôle F-35 de Lockheed Martin pour remplacer ses F-16 vieillissants, sachant que le choix du Rafale de Dassault promettait un bien meilleur retour sur investissement. Nous pourrions multiplier les exemples qui démontrent que l’« Europe de la Défense » prônée par Macron est impossible, et que le concept de « souveraineté européenne » n’est donc qu’une vue de l’esprit – du moins dans le domaine militaire. Outre la prépondérance américaine au sein de l’OTAN, la « menace russe » préoccupe nombre d’États européens, et empêche tout dialogue stratégique rationnel avec Moscou. 

 

Or, du fait de l’« équilibre de la terreur » instauré par la dissuasion nucléaire, il nous semble peu probable que la Russie souhaite envahir le reste de l’Europe. Au contraire, une éventuelle présidence Biden fera monter les tensions entre les puissances occidentales et Moscou, comme l’anticipent les experts du Council on Foreign Relations. En clair, la « menace russe » continuera de s’accroître en réponse à l’agressivité structurelle de l’OTAN – une alliance militaire que Biden a longtemps souhaité élargir davantage en Europe de l’Est (Géorgie, Ukraine, Monténégro). Dans un tel contexte, la paranoïa anti-russe de l’Allemagne, des pays scandinaves et des ex-satellites de l’Union soviétique laisse augurer un climat de tensions permanentes, alors que la France tente de se rapprocher de la Russie – une démarche d’équilibre qui n’est pas sans rappeler la politique étrangère du général de Gaulle, décédé il y a tout juste 50 ans.

 

En se recueillant devant sa tombe, Emmanuel Macron serait bien inspiré de prendre conscience que l’Europe de la Défense est une chimère, et que l’OTAN est une menace pour la paix mondiale, comme en témoignent son soutien pour la Turquie et son obsession anti-russe. Alors que le scénario d’une présidence démocrate se précise à Washington, « les velléités d’“autonomie stratégique” [de Macron] risquent de faire long feu. Rassurés par Joe Biden, les partenaires européens de la France reviendront se pelotonner à la douce chaleur [d’un] lien transatlantique » pourtant loin d’avoir été rompu sous Donald Trump, tel qu’on a pu l’observer en Belgique, en Italie, aux Pays Bas, en Allemagne ou en Pologne. Comme l’avait déclaré le général de Gaulle, « le grand problème, maintenant que l’affaire d’Algérie est réglée, c’est l’impérialisme américain. Le problème est en nous, parmi nos couches dirigeantes, parmi celles des pays voisins. Il est dans les têtes. » Nous sommes d’avis que ce « grand problème » persistera, quel que soit le prochain locataire de la Maison-Blanche. Espérons qu’Emmanuel Macron en ait conscience, alors qu’il célèbre l’héritage du général de Gaulle et l’« esprit de la Nation ». 

 

Maxime Chaix

 

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