Avril Haines, une fausse modérée à la tête du Renseignement sous Joe Biden

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Dans notre récent article consacré à l’équipe de politique étrangère de Joe Biden, nous n’avions pas cité l’ex-directrice adjointe de la CIA Avril Haines, qui devrait être nommée à la tête de la Direction du Renseignement National. En effet, il nous semblait nécessaire de lui dédier un article entier, vu l’importance de son futur poste et son bilan contesté en tant que juriste au sein de l’administration Obama. À cette époque, elle fut en effet chargée de trouver des justifications légales à certaines des politiques les plus controversées de la Maison-Blanche, dont le programme de frappes de drones. En étudiant de près son bilan, elle peut paraître modérée mais, en creusant davantage, il s’avère qu’elle a couvert la CIA pour sa pratique de la torture et son espionnage de parlementaires américains. Ayant œuvré pour que les États-Unis accueillent davantage de réfugiés syriens, elle fut néanmoins directrice adjointe de la CIA lorsque l’Agence cherchait à renverser Assad en soutenant massivement des djihadistes. Portrait d’une main de fer dans un gant de velours, dont Joe Biden devrait se méfier.

 

Récemment, Joe Biden a annoncé qu’il nommerait la juriste Avril Haines au poste clé de Directrice du Renseignement National (DNI). Créée par une réforme de 2004, cette fonction est importante dans la hiérarchie du pouvoir à Washington, puisque le DNI est censé être « le chef de la Communauté américaine du Renseignement, superviser et diriger la mise en œuvre du Programme National de Renseignement, et agir en tant que conseiller principal du Président, du Conseil de Sécurité Nationale et du Conseil de Sécurité Intérieure pour les questions de renseignement liées à la sécurité nationale. » Le DNI a donc une influence majeure sur les décisions présidentielles dans ce domaine, qui inclue le secteur stratégique de la politique étrangère. Il a notamment pour fonction de rédiger les Briefings Présidentiels Quotidiens (PDB), qui alertent le locataire de la Maison-Blanche sur les menaces imminentes. Avant 2005 et la nomination du premier DNI, cette tâche était confiée à la CIA. Déclassifié en avril 2004, le PBD du 6 août 2001 informa George W. Bush que « Ben Laden [était] déterminé à frapper sur le territoire des États-Unis », soit 36 jours avant le 11-Septembre. C’est dire l’importance de ces briefings, bien qu’ils n’aient pas été suivis d’effets à l’époque, sachant que le Vice-président Dick Cheney ne croyait pas à cette menace. 

 

Cet été, Avril Haines était pressentie pour jouer un rôle central au sein de l’équipe de sécurité nationale de Joe Biden. En juillet, elle avait donc accordé une rare interview à TheDailyBeast.com, dans le cadre d’un portrait complaisant qui lui était dédié. À cette époque, l’aile progressiste du Parti démocrate était hostile à toute nomination de cette juriste au sein d’un éventuel cabinet Biden. En effet, « la montée en puissance d’une ancienne directrice adjointe de la CIA au sein de l’équipe de transition de Joe Biden [suscitait] de vives objections de la part de la gauche [du Parti démocrate] – au grand dam de ses collègues de l’administration Obama, qui [estimaient] que le bilan d’Avril Haines au sein du gouvernement devrait emporter l’adhésion des progressistes. » Comme nous le verrons, les positions de cette juriste ne furent pas aussi extrémistes que celles d’Hillary Clinton au Département d’État, qui poussait Obama à choisir les options les plus maximalistes. Il n’en demeure pas moins qu’elle a dû défendre des politiques particulièrement controversées et illégales, tout en aidant la CIA à dissimuler les détails de son programme de torture, et en soutenant la nomination de l’une de ses principales architectes à la tête de l’Agence – soit l’actuelle directrice de l’Agence Gina Haspel. 

 

Comme l’avait rapporté TheDailyBeast.com, « fin juin, la campagne Biden annonça qu’Avril Haines, une juriste qui fut directrice adjointe de la CIA entre 2013 et 2015, dirigera les questions de politique étrangère et de sécurité nationale au sein d’une potentielle équipe de transition Biden. Pour les militants, les experts en sécurité et les assistants du Congrès réputés plus à gauche que les libéraux – de même que pour les défenseurs traditionnels des droits de l’Homme et pour au moins un ancien Sénateur –, l’élévation de Haines à ce statut est inquiétante, voire inacceptable. En effet, elle a approuvé un “comité de responsabilisation” qui a épargné au personnel de la CIA des représailles pour avoir espionné les enquêteurs du Sénat sur la torture, et elle a fait partie de l’équipe qui a partiellement censuré leur rapport historique. » Sous l’administration Trump, « Haines [avait également] soutenu la nomination de Gina Haspel au poste de directrice de la CIA, cette dernière étant directement impliquée dans le programme de torture de l’Agence – une décision qui reste en travers de la gorge des militants progressistes. Jusqu’à la fin juin, elle [avait] exercé en tant que consultante pour Palantir. Incubée par la CIA, il s’agit de la société d’exploitation de données favorite de Donald Trump. »

 

Ce portrait d’Avril Haines par TheDailyBeast.com est intéressant car il lui permet de répondre à ces critiques, et de nous donner l’impression qu’elle est plus modérée qu’elle n’y paraît. Par exemple, elle explique avoir été embauchée à Palantir pour promouvoir « l’inclusion et la diversité, avec un accent particulier sur le genre ». Elle est également présentée dans cet article comme une humaniste ayant poussé l’administration Obama à accepter plusieurs dizaines de milliers de réfugiés supplémentaires. Elle y est aussi décrite comme une juriste ayant contraint la Maison-Blanche à limiter ses frappes de drones, et à être plus prudente dans le choix des cibles et dans les règles d’engagement. Or, nos confrères de InTheseTimes.com estiment que, « durant la campagne présidentielle de Biden, d’anciens collaborateurs d’Obama ont déployé des efforts concertés pour décrire Haines comme une partisane de la retenue et de la protection des civils, comme le montre [l’]article [du DailyBeast.com que nous commentons]. Ce révisionnisme ne doit pas être pris pour argent comptant : quelles que soient les mesures de protection qu’Avril Haines a pu inscrire dans la législation sur les drones, elles n’ont clairement pas fonctionné – comme en témoigne le bilan catastrophique [de ces frappes] américaines au sein des populations civiles. Alors que l’administration Trump a intensifié cette guerre des drones et assoupli les [règles d’engagement], c’est le cabinet Obama qui, avec l’aide de Haines, a normalisé l’utilisation généralisée des assassinats ciblés. Or, cette politique a transformé le monde entier en un champ de bataille potentiel pour les États-Unis. »

 

La guerre des drones ne fut pas le seul dossier épineux qu’Avril Haines dut gérer pendant la présidence Obama. Comme l’avaient expliqué nos confrères de Newsweek lorsqu’elle fut nommé directrice adjointe de la CIA en 2013, son rôle était « d’exercer tous les pouvoirs du directeur en cas d’absence. Cela signifie superviser la Direction du Renseignement, qui analyse les informations et produit des rapports finals pour les décideurs, ainsi que le Service National Clandestin – les espions qui volent des secrets, mènent des opérations clandestines et, du moins pour le moment, mènent des frappes de drones. » À ce poste, elle partageait donc, avec le directeur de l’Agence John Brennan, la responsabilité de conduire la désastreuse guerre secrète de la CIA en Syrie, que nous avons récemment critiquée comme étant la politique la plus désastreuse de l’ère Obama. En poste jusqu’à la fin 2014, elle militera ensuite pour que les États-Unis accueillent davantage de réfugiés syriens, en oubliant de rappeler que l’opération qu’elle avait cogérée pendant plus d’un an avec John Brennan avait massivement aggravé ce conflit.

 

L’on peut observer dans cette duplicité un trait de caractère typique d’Avril Haines. Réputée être une personne modeste qui prône la retenue, sa véritable compétence est de trouver des justifications morales et juridiques à des actes totalement illégaux et illégitimes, tels que la torture, les assassinats extrajudiciaires et l’espionnage de parlementaires américains par la CIA. Bien que nous estimons qu’un Président Biden ne sera pas aussi belliciste que d’aucuns ne le craignent, il s’entoure d’une équipe de faucons dont Avril Haines pourrait être la plus redoutable. En effet, sa capacité à défendre l’indéfendable tout en se construisant une stature d’humaniste n’est pas sans nous inquiéter. Une main de fer dans un gant de velours, dont Joe Biden devra se méfier.

 

Maxime Chaix

 

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