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Crise du Covid-19 : à l’étranger, le cabinet Trump fragilise tant ses rivaux que ses alliés

Aujourd’hui, le chercheur Max Abrahms nous a transmis un intéressant article de l’AFP, dans lequel il fut interrogé sur la politique étrangère américaine. Selon lui, l’administration Trump ferait mieux d’être moins agressive sur la scène internationale, et de se recentrer sur la lutte contre le Covid-19 à l’intérieur de ses frontières. Or, comme nous allons le constater, Washington multiplie les actes hostiles contre l’Iran, le Venezuela, l’Irak ou la Chine – et même contre ses alliés européens (travel ban, scandale CureVac…). En clair, alors que cette pandémie déstabilise le monde entier, le cabinet Trump opte pour l’escalade des tensions au pire des moments, à l’instar de son allié saoudien avec sa guerre des prix du pétrole. Décryptage des dangers de l’unilatéralisme en période de crise.

 

Le 27 mars dernier, l’AFP publiait une intéressante analyse sur l’agressivité malvenue de l’administration Trump sur la scène internationale, en cette période de pandémie globale. Max Abrahms, le chercheur qui nous a signalé cet article, y résume intelligemment la politique américaine. Critiquant les graves insuffisances du cabinet Trump face à la crise du Covid-19, il estime en effet que « “cette situation ressemble une mauvaise blague. Qu’y a-t-il de pire qu’une pandémie dans un pays où il n’y a pas de gouvernement ? C’est vraiment la dernière chose que vous souhaitez vivre. (…) Nous devons repenser notre conception de la sécurité nationale américaine. En particulier, il est absurde que les États-Unis investissent si lourdement dans la refonte de pays étrangers [, tels que le Venezuela ou l’Iran,] à un moment où nos propres infirmières à New York portent littéralement des sacs poubelles.” » En effet, comme différents experts l’ont souligné, les coûts exorbitants des assurances associés à un manque de personnel et d’infrastructures dans le système de santé américaine engendrent une grave crise sanitaire dans le contexte actuel. Hélas, cette situation d’insécurité nationale aux États-Unis ne dissuade pas l’administration Trump de profiter de cette pandémie pour déstabiliser davantage ses rivaux, dont l’Iran et le Venezuela.  

 

Comme l’a souligné l’AFP, « la pandémie de coronavirus secoue le monde entier, mais pas la politique étrangère américaine. Alors que des milliards de personnes tentent de stopper la propagation du virus, le Président Trump n’a fait qu’accroître les sanctions et autres pressions contre des cibles fréquentes des États-Unis, telles que l’Iran et le Venezuela. Or, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a lancé des appels en faveur d’un “cessez-le-feu mondial immédiat” pour se recentrer sur la lutte contre Covid-19. Vendredi, il a également appelé à “la levée des sanctions qui peuvent miner la capacité des pays à répondre à la pandémie” ». Concentrés sur leurs stratégies de déstabilisation, les faucons de Washington n’ont logiquement pas suivi les recommandations d’Antonio Guterres. Max Abrahms l’explique par le fait que « Pompeo et d’autres officiels américains sont bloqués dans une mentalité belliciste, qui vise à faire tomber des régimes politiques rivaux au lieu de considérer qu’il est d’un plus grand intérêt de protéger la santé publique. “Même les pays que nous n’aimons pas vivent dans le même univers que nous. Et nous devons donc travailler avec eux pour résoudre des problèmes mutuels”, a-t-il déclaré. » 

 

Outre l’Iran et le Venezuela – qui sont frappés par de nouvelles sanctions américaines –, l’Irak est également ciblé par l’administration Trump. En effet, le jour où cet article de l’AFP était publié, le New York Times révéla l’existence d’une directive secrète ordonnant « aux commandants militaires de planifier une escalade des combats américains en Irak, (…) afin de détruire une milice soutenue par l’Iran qui a menacé de nouveau les troupes américaines. Néanmoins, le haut commandant des États-Unis en Irak a averti qu’une telle campagne pourrait être sanglante et contre-productive, et qu’elle risquerait d’engendrer une guerre contre l’Iran. » Ce haut gradé ajouta « qu’elle nécessiterait l’envoi de milliers de soldats américains en Irak, et qu’elle détournerait les ressources de ce qui a été notre principale mission militaire dans ce pays : la formation des troupes irakiennes pour combattre l’État Islamique. » Déjà décrit dans ces colonnes comme le plus farouche partisan d’une guerre contre l’Iran, Mike Pompeo considère une telle campagne comme « une occasion de détruire les milices soutenues par l’Iran en Irak, alors que les dirigeants iraniens sont distraits par la crise pandémique dans leur pays. »

 

Or, ce même Mike Pompeo encourage actuellement une nouvelle montée des tentions avec la Chine. Comme l’a remarqué l’AFP, « l’administration Trump, qui a été critiquée dans son pays pour sa gestion de la crise, a également lancé une campagne rhétorique sur cette pandémie. Le secrétaire d’État Mike Pompeo a accusé la Chine d’être responsable de la propagation du “virus de Wuhan” en mettant trop de temps à l’arrêter lors de son apparition dans la métropole, à la fin de l’année dernière. Par ailleurs, il a vivement critiqué la réponse de l’Iran face au coronavirus, ce pays ayant maintenu les vols à destination de la Chine, son partenaire économique vital face aux sanctions américaines. » Ces accusations ont logiquement engendré une guerre des mots, qui amène Pékin à suggérer sans preuve que les États-Unis pourraient être à l’origine de cette pandémie. Nul doute qu’un tel climat ne favorisera ni la solidarité internationale face à cette crise, ni un apaisement des tensions sino-américaines – à leur comble du fait d’une guerre commerciale dont la phase 2 devrait faire l’objet d’âpres négociations. Comme l’a récemment titré le New York Times, « le coronavirus conduit les États-Unis et la Chine vers une intensification de leur rivalités en tant que puissances globales », tout en soulignant que la « coopération, et non la confrontation » serait nécessaire dans un tel contexte. 

 

Manifestement, les rivaux géopolitiques des États-Unis ne sont pas les seuls à faire l’objet d’actions déstabilisantes de la part de l’administration Trump. Début mars, le Président américain aurait proposé un milliard de dollars à CureVac, une entreprise pharmaceutique allemande, afin de financer la création d’un vaccin contre le Covid-19 qui serait exclusivement destiné aux citoyens des États-Unis. Bien qu’elle fut démentie par des diplomates du cabinet Trump, les autorités allemandes ont confirmé la véracité de cette information, et elles ont fait bloc contre cette proposition américaine. À la mi-mars, Donald Trump annonça qu’il interdisait l’entrée dans son pays aux ressortissants de 26 nations européennes, et ce pendant une durée d’un mois. Scientifiquement absurde, cette décision unilatérale engendra un nouveau tollé général au sein de l’Union européenne. Ironiquement, juste avant l’annonce de ce travel ban, les États-Unis menaient des simulations de frappes en Europe avec leurs bombardiers nucléaires B-2, dans le cadre de manœuvres de l’OTAN qui visaient logiquement la Russie. À l’instar de ses alliés saoudiens, qui furent poliment recadrés par Mike Pompeo du fait de leur guerre des prix du pétrole, l’administration Trump déstabilise le monde entier au pire moment. L’Union européenne doit le comprendre, et en tirer les conséquences qui s’imposent.

 

Maxime Chaix  

 

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Les États-Unis piégés dans la guerre pétrolière entre l’OPEP et la Russie

Alors que les marchés mondiaux s’effondrent sous les effets conjugués de la crise du Covid-19 et de la guerre énergétique au sein de l’OPEP+, l’industrie américaine du pétrole de schiste pourrait ne pas survivre à une baisse durable des prix du baril. Or, malgré leurs rivalités actuelles, la Russie et l’Arabie saoudite gardent comme intérêt commun de contrer le pétrole de schiste américain. Par conséquent, Riyad emploie la manière forte pour ramener Moscou à la table des négociations, mais ces deux puissances maintiennent des pourparlers en vue d’un éventuel accord. Dans tous les cas, cette guerre pétrolière constitue d’ores et déjà un revers majeur pour l’administration Trump. En effet, la Russie a lancé cette offensive vendredi dernier pour combattre le pétrole de schiste américain, et pour riposter face aux nouvelles sanctions de Washington contre Rosneft. Décryptage d’un séisme énergétique global, et de ses potentielles conséquences pour l’ordre mondial. 

 

Guerre énergétique : les raisons de la volte-face saoudienne face à Moscou

 

Le 6 mars dernier, lors de la dernière réunion de l’OPEP+, Moscou a refusé une baisse collective de la production pétrolière à hauteur de 1,5 million de barils journaliers. Pour l’Arabie saoudite et ses alliés de l’OPEP, cette réduction du pompage de l’or noir demandé jusqu’à la fin juin visait à « doper les prix, [Riyad ayant] besoin d’un baril proche des 80 dollars pour équilibrer son budget. (…) Or pour Moscou, le prix d’équilibre tourne autour de 45 dollars. Les deux pays défendent des approches divergentes. » Contre toute attente, sachant que les Saoud ont besoin d’un baril deux fois plus élevé que leurs partenaires russes, ils ont totalement renversé la table. En effet, ils ont annoncé qu’ils inonderaient l’économie mondiale de pétrole à bas coût, comptant ainsi rafler des parts de marché à la Russie. Il en a résulté la baisse immédiate d’environ 30% du prix du baril, ce qui engendra une nouvelle chute des marchés financiers mondiaux.

 

Selon Bloomberg.com, « cette stratégie saoudienne de choc et d’effroi pourrait être une tentative d’imposer le plus vite possible un maximum de souffrance à la Russie et aux autres producteurs, dans le but de les ramener à la table des négociations, puis d’inverser rapidement la poussée de production et de commencer à la réduire si un accord est conclu. Dans un signe que les deux parties restent en pourparlers, le Comité technique mixte (JTC) de l’OPEP+, un organe de hauts responsables pétroliers qui conseillent les ministres, prévoit de se réunir le 18 mars prochain pour examiner le marché mondial du pétrole, selon les délégués. Des responsables saoudiens et russes font partie du JTC. » Si les objectifs de Riyad semblent clairs, comment comprendre la décision initiale de la Russie de refuser la baisse de pompage souhaitée par l’OPEP ?

 

Moscou et Riyad perçoivent une menace commune : le pétrole de schiste américain

 

Comme l’a rapporté le Courrier International, « pour les Russes, la baisse de la production demandée par l’OPEP aurait favorisé l’écoulement du pétrole de schiste américain. Une situation insupportable pour Moscou, qui a préféré faire cavalier seul et aller au clash. “Du point de vue des intérêts russes, cet accord [de baisse de la production] n’a aucun sens”, a déclaré dimanche Mikhaïl Leontiev, porte-parole du géant russe de l’énergie Rosneft, à l’agence de presse Ria Novosti. Pour lui, retirer du marché les pétroles arabe et russe à bas prix reviendrait à “laisser la place aux schistes américains à prix élevés, pour rendre leur industrie rentable. Notre production serait tout simplement remplacée par celle de nos concurrents. C’est du masochisme”, assène-t-il. »

 

Or, malgré la violence de la riposte saoudienne, il n’est pas exclu que Moscou et Riyad trouvent un accord, sachant qu’ils ont tous deux l’intérêt de contrer l’émergence de leurs rivaux américains sur le marché pétrolier mondial. Comme le rappelle Courrier International, « “pour l’Arabie saoudite, la coopération avec la Russie a renforcé l’influence de l’OPEP, au moment où elle était menacée par la croissance de la production pétrolière américaine, qui a fait des États-Unis un exportateur majeur de brut, pour la première fois depuis des décennies”, ajoute le [New York Times]. Si la Russie et l’Arabie saoudite n’enterrent pas la hache de guerre au plus vite, l’agence Bloomberg craint des conséquences “cataclysmiques” pour l’industrie pétrolière américaine, qui affecteront “les géants tels qu’Exxon Mobil comme les petits exploitants de schistes du Texas”. » Le problème, pour les États-Unis, est donc que la décision russe a engendré une riposte saoudienne encore plus radicale et que, désormais, un baril à 20 dollars n’est pas exclu. Or, un tel effondrement des prix – s’il se confirme dans la durée –, aurait un effet dévastateur sur le secteur du pétrole de schiste américain, qui a besoin d’un baril à 60 dollars pour être rentable. Moscou et Riyad en ont parfaitement conscience. 

 

Sombres perspectives pour l’industrie américaine du schiste et ses créanciers 

 

Comme l’a souligné Ann Harbor sur le site Informed Comment, « voici ce que la plupart des analystes du secteur [pétrolier des États-Unis] ne vous diront pas. L’industrie pétrolière américaine est sur les rotules[, notamment] en raison des inquiétudes croissantes du grand public au sujet de l’urgence climatique. Cette industrie n’a pas été en mesure d’attirer de nouveaux investissements, et ce malgré sa rentabilité à court terme. Les investisseurs savent que le pétrole est une industrie polluante qui sera de plus en plus accusée et condamnée en Justice pour avoir détruit la planète via des émissions de dioxyde de carbone piégeant la chaleur. Ils craignent de plus en plus les atteintes à leur réputation, mais ils sont également conscients (…) que la voiture électrique est sur le point de détruire le marché du pétrole. » Plus précisément, d’après un certain nombre d’analystes, les ventes de voitures électriques pourraient représenter jusqu’à 51% du marché automobile à l’horizon 2030

 

Pour en revenir à l’analyse d’Ann Harbor, « sur CNBC, Brian Sullivan nous avertit (…) qu’en raison de son échec à attirer des investissements, l’industrie pétrolière américaine a contracté d’énormes dettes. Or, elle a utilisé ses réserves de pétrole évaluées à 60 $ le baril comme garanties. Oups. En clair, si vous empruntez de l’argent sur une valeur nette immobilière de 200 000 $, puis que le marché immobilier s’effondre, et que la valeur nette de votre bien ne vaut plus que 100 000 $, devinez quoi ? La banque vous appelle et vous demande comment vous allez rembourser le reste de votre dette de 200 000 $, car votre garantie a maintenant été divisée par deux. Multipliez cela par des dizaines de milliards, et c’est ce qui va arriver à beaucoup de compagnies pétrolières, en particulier celles qui sont profondément impliquées dans la fracturation hydraulique. Cette technique n’est pas rentable à 30 $ le baril, et toutes les garanties [de cette industrie] viennent de partir en fumée. »

 

En clair, si le prix du baril ne remonte pas à 60 dollars, ce qui est plus que probable vu l’impact mondial du Covid-19, l’industrie du pétrole de schiste aux États-Unis est condamnée à la faillite. Or, cette perspective aurait des implications très sérieuses sur le secteur bancaire américain – donc international. Comme l’a remarqué Ann Harbor, « Sullivan note que “l’endettement lié à l’énergie (…) représente une grande partie de la dette des entreprises, ce qui pèse sur les banques, qu’elles soient globales ou régionales. Le réseau de la dette énergétique est complexe et coûteux.” En clair, Sullivan signifie que nous pourrions envisager un autre [krach similaire à celui de septembre] 2008, cette fois non pas parce que Wall Street vend des obligations immobilières pourries, mais parce qu’elle vend désormais des obligations pétrolières toxiques. »

 

Un « Nouvel ordre pétrolier » favorable aux Russes et aux Saoudiens ?

 

Comme l’a résumé le spécialiste Nabil Wakim, « tout le monde comprend le signal envoyé : les Russes veulent relancer une guerre des prix avec les Américains, et profiter des conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19 pour écraser leurs rivaux. “Le Kremlin a décidé de sacrifier l’alliance OPEP+ pour arrêter les producteurs américains de pétrole de schiste et punir les États-Unis qui souhaitent sanctionner le gazoduc Nord Stream 2 [, qui doit relier la Russie à l’Allemagne en traversant la mer Baltique], analyse l’économiste russe Alexander Dynkin. Prendre le risque de s’aliéner l’Arabie saoudite est risqué, mais c’est la stratégie russe, qui est à géométrie variable en fonction des intérêts du pays.” Vladimir Poutine mise sur la fragilité financière des pétroliers américains. Le pétrole de schiste demande en permanence de réinvestir des capitaux – il faut forer beaucoup plus souvent que dans le conventionnel –, et les entreprises sont sous forte pression financière. L’objectif russe apparaît clair : faire baisser les prix du baril assez longtemps pour mettre au pas la turbulente industrie pétrolière américaine. »

 

Alors que des pourparlers se poursuivent entre les Russes et les Saoudiens, et que la contre-offensive de ces derniers fait davantage chuter les prix que la décision initiale de Moscou, il y a fort à parier qu’un nouvel accord OPEP+ sera signé dans les prochains mois – comme l’anticipent Bloomberg.com et Goldman Sachs. D’ailleurs, cette dernière prédit l’émergence « d’un Nouvel ordre pétrolier, avec des producteurs à bas prix qui augmentent l’offre à partir de leur capacité de réserve pour forcer les producteurs à coûts plus élevés à réduire leur production », ce dont souffriraient grandement les États-Unis. Observons donc l’évolution des relations entre l’Arabie saoudite et la Russie, puisque ces deux États semblent être déterminés à fixer les nouvelles règles du jeu sur le marché pétrolier global. 

 

Maxime Chaix

 

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