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Crise du Covid-19 : à l’étranger, le cabinet Trump fragilise tant ses rivaux que ses alliés

Aujourd’hui, le chercheur Max Abrahms nous a transmis un intéressant article de l’AFP, dans lequel il fut interrogé sur la politique étrangère américaine. Selon lui, l’administration Trump ferait mieux d’être moins agressive sur la scène internationale, et de se recentrer sur la lutte contre le Covid-19 à l’intérieur de ses frontières. Or, comme nous allons le constater, Washington multiplie les actes hostiles contre l’Iran, le Venezuela, l’Irak ou la Chine – et même contre ses alliés européens (travel ban, scandale CureVac…). En clair, alors que cette pandémie déstabilise le monde entier, le cabinet Trump opte pour l’escalade des tensions au pire des moments, à l’instar de son allié saoudien avec sa guerre des prix du pétrole. Décryptage des dangers de l’unilatéralisme en période de crise.

 

Le 27 mars dernier, l’AFP publiait une intéressante analyse sur l’agressivité malvenue de l’administration Trump sur la scène internationale, en cette période de pandémie globale. Max Abrahms, le chercheur qui nous a signalé cet article, y résume intelligemment la politique américaine. Critiquant les graves insuffisances du cabinet Trump face à la crise du Covid-19, il estime en effet que « “cette situation ressemble une mauvaise blague. Qu’y a-t-il de pire qu’une pandémie dans un pays où il n’y a pas de gouvernement ? C’est vraiment la dernière chose que vous souhaitez vivre. (…) Nous devons repenser notre conception de la sécurité nationale américaine. En particulier, il est absurde que les États-Unis investissent si lourdement dans la refonte de pays étrangers [, tels que le Venezuela ou l’Iran,] à un moment où nos propres infirmières à New York portent littéralement des sacs poubelles.” » En effet, comme différents experts l’ont souligné, les coûts exorbitants des assurances associés à un manque de personnel et d’infrastructures dans le système de santé américaine engendrent une grave crise sanitaire dans le contexte actuel. Hélas, cette situation d’insécurité nationale aux États-Unis ne dissuade pas l’administration Trump de profiter de cette pandémie pour déstabiliser davantage ses rivaux, dont l’Iran et le Venezuela.  

 

Comme l’a souligné l’AFP, « la pandémie de coronavirus secoue le monde entier, mais pas la politique étrangère américaine. Alors que des milliards de personnes tentent de stopper la propagation du virus, le Président Trump n’a fait qu’accroître les sanctions et autres pressions contre des cibles fréquentes des États-Unis, telles que l’Iran et le Venezuela. Or, le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a lancé des appels en faveur d’un “cessez-le-feu mondial immédiat” pour se recentrer sur la lutte contre Covid-19. Vendredi, il a également appelé à “la levée des sanctions qui peuvent miner la capacité des pays à répondre à la pandémie” ». Concentrés sur leurs stratégies de déstabilisation, les faucons de Washington n’ont logiquement pas suivi les recommandations d’Antonio Guterres. Max Abrahms l’explique par le fait que « Pompeo et d’autres officiels américains sont bloqués dans une mentalité belliciste, qui vise à faire tomber des régimes politiques rivaux au lieu de considérer qu’il est d’un plus grand intérêt de protéger la santé publique. “Même les pays que nous n’aimons pas vivent dans le même univers que nous. Et nous devons donc travailler avec eux pour résoudre des problèmes mutuels”, a-t-il déclaré. » 

 

Outre l’Iran et le Venezuela – qui sont frappés par de nouvelles sanctions américaines –, l’Irak est également ciblé par l’administration Trump. En effet, le jour où cet article de l’AFP était publié, le New York Times révéla l’existence d’une directive secrète ordonnant « aux commandants militaires de planifier une escalade des combats américains en Irak, (…) afin de détruire une milice soutenue par l’Iran qui a menacé de nouveau les troupes américaines. Néanmoins, le haut commandant des États-Unis en Irak a averti qu’une telle campagne pourrait être sanglante et contre-productive, et qu’elle risquerait d’engendrer une guerre contre l’Iran. » Ce haut gradé ajouta « qu’elle nécessiterait l’envoi de milliers de soldats américains en Irak, et qu’elle détournerait les ressources de ce qui a été notre principale mission militaire dans ce pays : la formation des troupes irakiennes pour combattre l’État Islamique. » Déjà décrit dans ces colonnes comme le plus farouche partisan d’une guerre contre l’Iran, Mike Pompeo considère une telle campagne comme « une occasion de détruire les milices soutenues par l’Iran en Irak, alors que les dirigeants iraniens sont distraits par la crise pandémique dans leur pays. »

 

Or, ce même Mike Pompeo encourage actuellement une nouvelle montée des tentions avec la Chine. Comme l’a remarqué l’AFP, « l’administration Trump, qui a été critiquée dans son pays pour sa gestion de la crise, a également lancé une campagne rhétorique sur cette pandémie. Le secrétaire d’État Mike Pompeo a accusé la Chine d’être responsable de la propagation du “virus de Wuhan” en mettant trop de temps à l’arrêter lors de son apparition dans la métropole, à la fin de l’année dernière. Par ailleurs, il a vivement critiqué la réponse de l’Iran face au coronavirus, ce pays ayant maintenu les vols à destination de la Chine, son partenaire économique vital face aux sanctions américaines. » Ces accusations ont logiquement engendré une guerre des mots, qui amène Pékin à suggérer sans preuve que les États-Unis pourraient être à l’origine de cette pandémie. Nul doute qu’un tel climat ne favorisera ni la solidarité internationale face à cette crise, ni un apaisement des tensions sino-américaines – à leur comble du fait d’une guerre commerciale dont la phase 2 devrait faire l’objet d’âpres négociations. Comme l’a récemment titré le New York Times, « le coronavirus conduit les États-Unis et la Chine vers une intensification de leur rivalités en tant que puissances globales », tout en soulignant que la « coopération, et non la confrontation » serait nécessaire dans un tel contexte. 

 

Manifestement, les rivaux géopolitiques des États-Unis ne sont pas les seuls à faire l’objet d’actions déstabilisantes de la part de l’administration Trump. Début mars, le Président américain aurait proposé un milliard de dollars à CureVac, une entreprise pharmaceutique allemande, afin de financer la création d’un vaccin contre le Covid-19 qui serait exclusivement destiné aux citoyens des États-Unis. Bien qu’elle fut démentie par des diplomates du cabinet Trump, les autorités allemandes ont confirmé la véracité de cette information, et elles ont fait bloc contre cette proposition américaine. À la mi-mars, Donald Trump annonça qu’il interdisait l’entrée dans son pays aux ressortissants de 26 nations européennes, et ce pendant une durée d’un mois. Scientifiquement absurde, cette décision unilatérale engendra un nouveau tollé général au sein de l’Union européenne. Ironiquement, juste avant l’annonce de ce travel ban, les États-Unis menaient des simulations de frappes en Europe avec leurs bombardiers nucléaires B-2, dans le cadre de manœuvres de l’OTAN qui visaient logiquement la Russie. À l’instar de ses alliés saoudiens, qui furent poliment recadrés par Mike Pompeo du fait de leur guerre des prix du pétrole, l’administration Trump déstabilise le monde entier au pire moment. L’Union européenne doit le comprendre, et en tirer les conséquences qui s’imposent.

 

Maxime Chaix  

 

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Arabie saoudite, Turquie, Irak : nos différentes analyses et hypothèses confirmées

Nous informons nos lecteurs que différentes analyses, hypothèses et prédictions de notre fondateur Maxime Chaix ont été confirmées ces dernières semaines. Fragilisation des États-Unis dans la guerre des prix du pétrole, craintes de coup d’État à Riyad, position de faiblesse d’Ankara face à Moscou dans l’offensive d’Idleb, implication probable de Daech dans les tirs de roquettes invoqués par Washington pour justifier la liquidation de Soleimani… Les confirmations récentes de nos analyses, hypothèses et prédictions montrent la pertinence de notre travail quotidien de décryptage de l’actualité. C’est pourquoi nous vous encourageons à vous abonner si vous souhaitez soutenir nos efforts, et accéder ainsi à l’ensemble de nos analyses. Nos abonnements mensuels sont engagement, et le premier mois est gratuit. Franchissez le pas, plongez avec nous dans les eaux troubles de l’actualité !

 

Notre analyse confirmée sur les raisons de la guerre des prix du pétrole, et sur son impact aux États-Unis

 

Hier, la rédaction du Washington Post a confirmé ce que nous avions écrit trois jours plus tôt, soit le fait :

 

1) que les États-Unis sont piégés dans cette guerre des prix de l’or noir, et que leurs banques et leur industrie du pétrole de schiste risquent d’en souffrir considérablement ; 

 

2) que la Russie a refusé les propositions de baisse de production de l’OPEP car elle souhaitait contrer la montée en puissance du pétrole de schiste américain ;

 

3) que l’Arabie saoudite partage cet intérêt avec Moscou, et que la guerre des prix du pétrole qu’elle a lancée est totalement contraire aux intérêts nationaux des États-Unis.

 

D’après le Post, « à première vue, la guerre des prix du pétrole qui perturbe l’économie internationale oppose le troisième producteur mondial, la Russie, au second, l’Arabie saoudite. Mais ne vous y trompez pas : le grand perdant – et une probable cible [de ce conflit] –, est le premier producteur mondial de brut, les États-Unis. Après des années de complaintes sur la perte de parts de marché de son pays face à l’essor de l’industrie américaine du schiste, et face aux sanctions que Washington a imposées à l’industrie pétrolière russe suite aux divers abus de Moscou sur la scène internationale, le Président Vladimir Poutine a décidé de riposter. Il a donc fait le choix d’une production [pétrolière] effrénée, qui menace de mettre en faillite de nombreuses entreprises américaines très endettées », comme nous le signalions trois jours auparavant

 

Dans un message au vitriol adressé à Donald Trump, la rédaction du Post ajouta que ni Vladimir Poutine, ni Mohammed ben Salmane ne constituent des alliés pour les États-Unis : « En termes géopolitiques, Monsieur Trump devrait enfin comprendre que le Président russe n’est pas un ami des Américains, réel ou potentiel, mais plutôt un despote prêt à mettre rudement à l’épreuve les intérêts vitaux de ce pays. Le prince héritier saoudien est également un acteur peu fiable sur la scène internationale, mettant l’économie américaine en danger quand cela lui convient, malgré la vaste assistance militaire et le soutien rhétorique grandiose que l’administration Trump a accordé à son régime brutal. Tandis que le monde entier doit se ressaisir face à une menace globale pour la santé publique, ces deux hommes le déstabilisent à leurs propres fins égoïstes. » Manifestement, le Washington Post découvre que l’exceptionnalisme n’est plus l’apanage des États-Unis. Ce retour à la réalité semble difficile à vivre pour cette rédaction. 

 

Notre analyse confirmée sur la guerre d’influence entre MBS et le réseau CIA/Jeff Bezos, et sur la potentialité d’un coup d’État à Riyad

 

Ces arguments extrêmement durs prononcés contre Mohammed ben Salmane par la rédaction du Washington Post illustrent une nouvelle escalade dans la guerre d’influence entre Jeff Bezos, le patron de ce journal, et son rival MBS – qu’il accuse d’avoir piraté son smartphone. En commentant cet incident, nous avions rappelé que la CIA est étroitement liée à Jeff Bezos, qu’elle se montrait ouvertement hostile envers MBS depuis l’assassinat de Khashoggi, et qu’il était possible qu’un projet de coup d’État soutenu par l’Agence vise l’autocrate saoudien. En conclusion de notre analyse, nous avions écrit qu’« il n’est d’ailleurs pas inenvisageable que la CIA tente un jour de (…) renverser [MBS]. Or, selon nos sources, l’emprise de Mohammed ben Salmane sur l’Arabie saoudite rendrait difficile – pour ne pas dire impossible –, toute tentative de l’écarter du pouvoir au moyen d’un coup d’État. » Nous désignions alors Mohammed ben Nayef comme « l’homme clé de la CIA » à Riyad, qui avait été exclu de sa position de prince héritier par le roi Salmane au profit de son fils MBS.  

 

Un mois et demi après la publication de notre analyse, Reuters rapporta que « l’Arabie saoudite a arrêté trois princes saoudiens de haut rang, dont le prince Ahmed ben Abdelaziz, le frère cadet du roi Salmane, et le prince Mohammed ben Nayef, neveu du roi, pour avoir potentiellement planifié un coup d’État, ont indiqué des sources au courant de l’affaire. » Cette agence de presse ajouta que « le prince héritier Mohammed ben Salmane, fils du roi Salmane et souverain de facto du pays, premier exportateur mondial de pétrole et allié clé des États-Unis, a décidé de consolider son pouvoir depuis le renversement de Mohammed ben Nayef en tant qu’héritier du trône lors d’un coup de palais en 2017. (…) Cinq sources ont déclaré à Reuters que le prince Ahmed et Mohammed ben Nayef furent arrêtés lors de la dernière opération. (…) Le prince héritier (…) MBS “les a accusés d’avoir eu des contacts avec des puissances étrangères, y compris avec les Américains et d’autres pays, pour mener à bien un coup d’État”, a indiqué cette source régionale. » Nous pouvons en conclure que :

 

1) les informateurs cités par Reuters sont des figures haut placées, au vu de l’opacité des affaires intérieures en Arabie saoudite. Elles tendent à confirmer notre analyse du 22 janvier dernier sur un éventuel projet de coup d’État soutenu par les services américains contre l’homme fort Riyad ;

 

2) MBS craint cette éventualité. Par conséquent, il renforce son pouvoir afin d’éviter un coup de palais, voire pire. Ce fait confirme notre analyse du 22 janvier selon laquelle « l’emprise de Mohammed ben Salmane sur l’Arabie saoudite rendrait difficile – pour ne pas dire impossible –, toute tentative de l’écarter du pouvoir au moyen d’un coup d’État. »

 

Notre analyse confirmée sur la position de faiblesse de la Turquie vis-à-vis de la Russie sur le dossier d’Idleb

 

Le 28 février, après la mort de dizaines de soldats turcs suite à une frappe de la coalition russo-syrienne, nous écrivions que « la Turquie est en position de faiblesse vis-à-vis de la Russie, contre laquelle elle ne pourra triompher à Idleb. En effet, l’OTAN n’entrera certainement pas en guerre pour protéger Hayat Tahrir al-Sham, l’“ex-” branche d’al-Qaïda en Syrie qui domine cette province et qui est alliée à Ankara. Il est donc urgent de stopper cette escalade, afin de nous acheminer vers la conclusion de cette trop longue guerre au Levant. Dans les faits, la Turquie soutient une nébuleuse de groupes armés qui ne pourront gagner ce conflit face à l’alliance russo-syrienne et sa maîtrise de l’espace aérien à Idleb. Elle prolonge donc inutilement cette guerre avec la bénédiction de Washington, qui encourage Ankara dans cette offensive en s’imaginant l’éloigner de Moscou. » Si l’on revient point par point sur cette analyse, nous avions :

 

1) compris que la Turquie était bel et bien en position de faiblesse face à Moscou, malgré l’intensification de sa « guerre des drones » en guise de contre-offensive. Or, Erdogan s’est ensuite vu imposer par son homologue russe des concessions majeures à Idleb, et l’armée syrienne et ses alliés ont rapidement repris le contrôle de l’espace aérien dans cette province. Précisons d’ailleurs que cette incursion de l’armée d’Erdogan dans le Nord-Ouest syrien engendra une bagarre générale au sein du parlement turc – un signe parmi d’autres que la Turquie est en grande difficulté dans cette affaire ;

 

2) prévu que l’OTAN n’allait pas s’engager militairement contre la Russie pour sauver l’« ex- » branche d’al-Qaïda en Syrie ; 

 

3) perçu que Washington se trompait en s’imaginant éloigner la Turquie de Moscou, à travers ses incitations à combattre frontalement la Russie dans la province d’Idleb. En effet, la dernière rencontre entre Poutine et Erdogan a confirmé leur volonté commune de maintenir des relations étroites malgré leurs rivalités géopolitiques en Syrie et en Libye. 

 

Notre analyse confirmée sur la probable implication de Daech dans les tirs invoqués par Washington pour justifier la liquidation de Soleimani 

 

Le 11 janvier dernier, nous écrivions que les tirs de roquettes mis en avant par l’administration Trump pour légitimer l’assassinat de Soleimani n’avaient probablement pas été menés par des miliciens chiites pro-iraniens, mais par Daech. Comme nous le soulignions à l’époque, « concernant les tirs de roquettes du 27 décembre contre une base américaine à Kirkouk qui, avec l’attaque de manifestants contre l’ambassade US à Bagdad, justifièrent l’assassinat de Soleimani, la mise en cause de l’Iran par Mike Pompeo fut une nouvelle fois trop hâtive, selon le New York Times et d’autres sources autorisées. En l’occurrence, il se pourrait même que cette attaque eût été menée par Daech, qui est particulièrement actif dans cette zone depuis 2018. Logiquement, déterminer qui étaient les responsables de cet acte hostile aurait nécessité du temps, mais Mike Pompeo n’était pas enclin à attendre les conclusions d’une éventuelle enquête. »

 

Or, trois semaines plus tard, le New York Times révéla que les services de renseignement irakiens estimaient que Daech était derrière ces tirs de roquette à Kirkouk. Ils expliquèrent également que leurs homologues américains ne les avaient pas consulté pour mener l’enquête, et qu’ils ne leur avaient pas transmis leurs renseignements sur cette attaque. Comme l’a rapporté le Times, « “tout indique que c’était Daesh”, selon le brigadier général Ahmed Adnan, qui est le chef du renseignement irakien pour la police fédérale à la base K1 (…) “Je vous ai parlé des trois incidents des jours précédents dans cette zone – nous connaissons les mouvements de Daech. En tant que forces irakiennes, nous ne pouvons même pas nous rendre dans cette région sans venir en nombre, car cette zone n’est pas sûre. Comment se fait-il que quelqu’un qui ne connaît pas la région puisse venir ici, trouver cette position de tir et lancer une attaque ?” Le Kataeb Hezbollah [pro-iranien] a nié toute responsabilité dans ces tirs, et aucun groupe ne les a revendiqués. »

 

En clair, trois semaines avant ces révélations du Times, nous avions compris que Mike Pompeo avait probablement utilisé ce faux prétexte pour frapper les milices pro-iraniennes en rétorsion d’une attaque qu’elles n’avaient pas commises. Ce bombardement du Pentagone avait encouragé l’assaut des chiites irakiens contre l’ambassade américaine à Bagdad. Cette série de provocations justifia l’assassinat de Qassem Soleimani, un acte périlleux qui nous rapprocha d’une potentielle guerre directe entre les États-Unis et l’Iran – même si un tel conflit reste improbable.  

 

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Maxime Chaix

 

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Les États-Unis piégés dans la guerre pétrolière entre l’OPEP et la Russie

Alors que les marchés mondiaux s’effondrent sous les effets conjugués de la crise du Covid-19 et de la guerre énergétique au sein de l’OPEP+, l’industrie américaine du pétrole de schiste pourrait ne pas survivre à une baisse durable des prix du baril. Or, malgré leurs rivalités actuelles, la Russie et l’Arabie saoudite gardent comme intérêt commun de contrer le pétrole de schiste américain. Par conséquent, Riyad emploie la manière forte pour ramener Moscou à la table des négociations, mais ces deux puissances maintiennent des pourparlers en vue d’un éventuel accord. Dans tous les cas, cette guerre pétrolière constitue d’ores et déjà un revers majeur pour l’administration Trump. En effet, la Russie a lancé cette offensive vendredi dernier pour combattre le pétrole de schiste américain, et pour riposter face aux nouvelles sanctions de Washington contre Rosneft. Décryptage d’un séisme énergétique global, et de ses potentielles conséquences pour l’ordre mondial. 

 

Guerre énergétique : les raisons de la volte-face saoudienne face à Moscou

 

Le 6 mars dernier, lors de la dernière réunion de l’OPEP+, Moscou a refusé une baisse collective de la production pétrolière à hauteur de 1,5 million de barils journaliers. Pour l’Arabie saoudite et ses alliés de l’OPEP, cette réduction du pompage de l’or noir demandé jusqu’à la fin juin visait à « doper les prix, [Riyad ayant] besoin d’un baril proche des 80 dollars pour équilibrer son budget. (…) Or pour Moscou, le prix d’équilibre tourne autour de 45 dollars. Les deux pays défendent des approches divergentes. » Contre toute attente, sachant que les Saoud ont besoin d’un baril deux fois plus élevé que leurs partenaires russes, ils ont totalement renversé la table. En effet, ils ont annoncé qu’ils inonderaient l’économie mondiale de pétrole à bas coût, comptant ainsi rafler des parts de marché à la Russie. Il en a résulté la baisse immédiate d’environ 30% du prix du baril, ce qui engendra une nouvelle chute des marchés financiers mondiaux.

 

Selon Bloomberg.com, « cette stratégie saoudienne de choc et d’effroi pourrait être une tentative d’imposer le plus vite possible un maximum de souffrance à la Russie et aux autres producteurs, dans le but de les ramener à la table des négociations, puis d’inverser rapidement la poussée de production et de commencer à la réduire si un accord est conclu. Dans un signe que les deux parties restent en pourparlers, le Comité technique mixte (JTC) de l’OPEP+, un organe de hauts responsables pétroliers qui conseillent les ministres, prévoit de se réunir le 18 mars prochain pour examiner le marché mondial du pétrole, selon les délégués. Des responsables saoudiens et russes font partie du JTC. » Si les objectifs de Riyad semblent clairs, comment comprendre la décision initiale de la Russie de refuser la baisse de pompage souhaitée par l’OPEP ?

 

Moscou et Riyad perçoivent une menace commune : le pétrole de schiste américain

 

Comme l’a rapporté le Courrier International, « pour les Russes, la baisse de la production demandée par l’OPEP aurait favorisé l’écoulement du pétrole de schiste américain. Une situation insupportable pour Moscou, qui a préféré faire cavalier seul et aller au clash. “Du point de vue des intérêts russes, cet accord [de baisse de la production] n’a aucun sens”, a déclaré dimanche Mikhaïl Leontiev, porte-parole du géant russe de l’énergie Rosneft, à l’agence de presse Ria Novosti. Pour lui, retirer du marché les pétroles arabe et russe à bas prix reviendrait à “laisser la place aux schistes américains à prix élevés, pour rendre leur industrie rentable. Notre production serait tout simplement remplacée par celle de nos concurrents. C’est du masochisme”, assène-t-il. »

 

Or, malgré la violence de la riposte saoudienne, il n’est pas exclu que Moscou et Riyad trouvent un accord, sachant qu’ils ont tous deux l’intérêt de contrer l’émergence de leurs rivaux américains sur le marché pétrolier mondial. Comme le rappelle Courrier International, « “pour l’Arabie saoudite, la coopération avec la Russie a renforcé l’influence de l’OPEP, au moment où elle était menacée par la croissance de la production pétrolière américaine, qui a fait des États-Unis un exportateur majeur de brut, pour la première fois depuis des décennies”, ajoute le [New York Times]. Si la Russie et l’Arabie saoudite n’enterrent pas la hache de guerre au plus vite, l’agence Bloomberg craint des conséquences “cataclysmiques” pour l’industrie pétrolière américaine, qui affecteront “les géants tels qu’Exxon Mobil comme les petits exploitants de schistes du Texas”. » Le problème, pour les États-Unis, est donc que la décision russe a engendré une riposte saoudienne encore plus radicale et que, désormais, un baril à 20 dollars n’est pas exclu. Or, un tel effondrement des prix – s’il se confirme dans la durée –, aurait un effet dévastateur sur le secteur du pétrole de schiste américain, qui a besoin d’un baril à 60 dollars pour être rentable. Moscou et Riyad en ont parfaitement conscience. 

 

Sombres perspectives pour l’industrie américaine du schiste et ses créanciers 

 

Comme l’a souligné Ann Harbor sur le site Informed Comment, « voici ce que la plupart des analystes du secteur [pétrolier des États-Unis] ne vous diront pas. L’industrie pétrolière américaine est sur les rotules[, notamment] en raison des inquiétudes croissantes du grand public au sujet de l’urgence climatique. Cette industrie n’a pas été en mesure d’attirer de nouveaux investissements, et ce malgré sa rentabilité à court terme. Les investisseurs savent que le pétrole est une industrie polluante qui sera de plus en plus accusée et condamnée en Justice pour avoir détruit la planète via des émissions de dioxyde de carbone piégeant la chaleur. Ils craignent de plus en plus les atteintes à leur réputation, mais ils sont également conscients (…) que la voiture électrique est sur le point de détruire le marché du pétrole. » Plus précisément, d’après un certain nombre d’analystes, les ventes de voitures électriques pourraient représenter jusqu’à 51% du marché automobile à l’horizon 2030

 

Pour en revenir à l’analyse d’Ann Harbor, « sur CNBC, Brian Sullivan nous avertit (…) qu’en raison de son échec à attirer des investissements, l’industrie pétrolière américaine a contracté d’énormes dettes. Or, elle a utilisé ses réserves de pétrole évaluées à 60 $ le baril comme garanties. Oups. En clair, si vous empruntez de l’argent sur une valeur nette immobilière de 200 000 $, puis que le marché immobilier s’effondre, et que la valeur nette de votre bien ne vaut plus que 100 000 $, devinez quoi ? La banque vous appelle et vous demande comment vous allez rembourser le reste de votre dette de 200 000 $, car votre garantie a maintenant été divisée par deux. Multipliez cela par des dizaines de milliards, et c’est ce qui va arriver à beaucoup de compagnies pétrolières, en particulier celles qui sont profondément impliquées dans la fracturation hydraulique. Cette technique n’est pas rentable à 30 $ le baril, et toutes les garanties [de cette industrie] viennent de partir en fumée. »

 

En clair, si le prix du baril ne remonte pas à 60 dollars, ce qui est plus que probable vu l’impact mondial du Covid-19, l’industrie du pétrole de schiste aux États-Unis est condamnée à la faillite. Or, cette perspective aurait des implications très sérieuses sur le secteur bancaire américain – donc international. Comme l’a remarqué Ann Harbor, « Sullivan note que “l’endettement lié à l’énergie (…) représente une grande partie de la dette des entreprises, ce qui pèse sur les banques, qu’elles soient globales ou régionales. Le réseau de la dette énergétique est complexe et coûteux.” En clair, Sullivan signifie que nous pourrions envisager un autre [krach similaire à celui de septembre] 2008, cette fois non pas parce que Wall Street vend des obligations immobilières pourries, mais parce qu’elle vend désormais des obligations pétrolières toxiques. »

 

Un « Nouvel ordre pétrolier » favorable aux Russes et aux Saoudiens ?

 

Comme l’a résumé le spécialiste Nabil Wakim, « tout le monde comprend le signal envoyé : les Russes veulent relancer une guerre des prix avec les Américains, et profiter des conséquences économiques de l’épidémie de Covid-19 pour écraser leurs rivaux. “Le Kremlin a décidé de sacrifier l’alliance OPEP+ pour arrêter les producteurs américains de pétrole de schiste et punir les États-Unis qui souhaitent sanctionner le gazoduc Nord Stream 2 [, qui doit relier la Russie à l’Allemagne en traversant la mer Baltique], analyse l’économiste russe Alexander Dynkin. Prendre le risque de s’aliéner l’Arabie saoudite est risqué, mais c’est la stratégie russe, qui est à géométrie variable en fonction des intérêts du pays.” Vladimir Poutine mise sur la fragilité financière des pétroliers américains. Le pétrole de schiste demande en permanence de réinvestir des capitaux – il faut forer beaucoup plus souvent que dans le conventionnel –, et les entreprises sont sous forte pression financière. L’objectif russe apparaît clair : faire baisser les prix du baril assez longtemps pour mettre au pas la turbulente industrie pétrolière américaine. »

 

Alors que des pourparlers se poursuivent entre les Russes et les Saoudiens, et que la contre-offensive de ces derniers fait davantage chuter les prix que la décision initiale de Moscou, il y a fort à parier qu’un nouvel accord OPEP+ sera signé dans les prochains mois – comme l’anticipent Bloomberg.com et Goldman Sachs. D’ailleurs, cette dernière prédit l’émergence « d’un Nouvel ordre pétrolier, avec des producteurs à bas prix qui augmentent l’offre à partir de leur capacité de réserve pour forcer les producteurs à coûts plus élevés à réduire leur production », ce dont souffriraient grandement les États-Unis. Observons donc l’évolution des relations entre l’Arabie saoudite et la Russie, puisque ces deux États semblent être déterminés à fixer les nouvelles règles du jeu sur le marché pétrolier global. 

 

Maxime Chaix

 

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